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15 février 2012
Sexualité des jeunes : comme papa-maman ? Par MARIE-JOËLLE GROS
Rapports. D’après des sociologues qui se sont penchés sur les pratiques des 18-24 ans, les stéréotypes sont tenaces.
La révolution sexuelle ? Quelle révolution sexuelle ? «Au mieux, on a connu une évolution. Mais parler de révolution, au vu du chemin qu’il reste à parcourir, est impossible», posent d’emblée Yaëlle Amsellem-Mainguy et Wilfried Rault, jeunes sociologues organisateurs d’un débat qui se tiendra ce soir à Sciences-Po sur le thème «Jeunesse et sexualité : expériences, espaces, représentations» (1). Ambition ? Mettre le doigt sur tout ce qui coince encore. «Les normes qui encadrent la sexualité sont toujours bien là, insiste Yaëlle Amsellem-Mainguy. On a pu les imaginer diluées, mais il n’en est rien : diversifiées et recomposées, elles perdurent.» Des travaux de sociologie récents vont servir de base à cette exploration de la sexualité des 18-24 ans. Leurs conclusions sont souvent sans appel : la sexualité reste genrée, dépendante des stéréotypes masculins ou féminins ; les deux figures repoussoirs de «la pute» et «du pédé» ont la vie longue ; et les adultes éprouvent toujours une forme de panique morale à l’égard du sexe des jeunes.
Même en 2012, l’ordre hétérosexuel fait toujours la loi et les normes. Il exclut et stigmatise ceux qui y dérogent. A travers deux études, l’une dans des cités d’Ile-de-France, l’autre dans la campagne de la région Centre, Isabelle Clair (CNRS) décrit cette «hétéro normativité» qui veut qu’un garçon soit «tout sauf une fille» (sinon c’est un pédé) et qu’une fille n’étale pas une sexualité libre (sinon c’est une pute).
Dans les cités comme au village, la surveillance de la respectabilité des uns et des autres reste de mise. «Un garçon doit être à la hauteur de son sexe» et ne jamais laisser douter de sa virilité. Et les autres ?
Le pédé est considéré comme contre-nature. Quant à la fille, on considère encore qu’elle a potentiellement une nature de pute, qu’elle doit dominer, en passant pour vertueuse : soit en étant fidèle à son copain, soit en étant religieuse ou non accompagnée et sage. Autant de conditions pour passer pour une «fille bien». Bilan : la sexualité des filles est «la clé de voûte de l’ordre social», souligne Isabelle Clair.Les garçons y veillent scrupuleusement, en portant un regard inquisiteur «constant sur la sexualité des filles, car c’est pour eux un enjeu d’affirmation de leur propre virilité», poursuit la sociologue.
Au fond, la féminité pose encore problème. Si les garçons doivent impérativement gommer tout ce qui fait fille, on compte à l’inverse beaucoup de «garçons manqués» parmi elles. La sociologue conclut : l’ordre hétérosexuel ordonne l’«asymétrie» des sexes : «il fait du groupe des garçons le référent absolu de celui des filles».
Plus d’un tiers des 18-24 ans, garçons et filles, se sont déjà connectés à un site de rencontres. Sans remplacer les lieux de la vraie vie (café, bancs de la fac, cercles d’amis), les sites de rencontres forment désormais «un territoire constitutif de la géographie sexuelle de la jeunesse», résume la doctorante en sociologie Marie Bergström. Démarche solitaire, sous pseudonyme, cette connexion accélère le nombre des relations sexuelles et, surtout, permet aux jeunes femmes de recruter des partenaires occasionnels à l’insu de leurs pairs. Bref, de multiplier les expériences tout en gardant une image de modérée sexuelle.
Il faut distinguer un site comme Meetic, véritable terrain d’entraînement (on teste son sex-appeal, sa technique de drague, son image) ouvert à tous les vents nouveaux, et Facebook, où l’on reste sous la surveillance des «amis». Les sites de rencontres servent à multiplier les histoires «pas sérieuses» mais «en connaissance de cause» : aucune ambiguïté sur les intentions des protagonistes. La relation est prioritairement physique et sexuelle.
Mais, sur ces sites-là aussi, les filles sont contraintes de «poser des barrières» en se déclarant à la recherche d’une relation amoureuse ou amicale pour se réserver une marge de manœuvre lors de la relation sexuelle : le pouvoir de dire non.
L’adolescence est désormais considérée comme une période d’apprentissage de la sexualité. Cela passe par différentes étapes jusqu’à la «sexualité génitale» qui marque l’entrée dans la jeunesse. Entre les années 50 et les années 2000, beaucoup de choses ont changé. On est passé d’une vision négative de la sexualité juvénile à une sexualité souhaitée et protégée (le préservatif est présent dans 90% des premiers rapports sexuels). Mais cette «intériorisation des contrôles» se double d’une explosion des inquiétudes adultes, ce que Michel Bozon, directeur de recherches à l’Institut national d’études démographiques (Ined), appelle un «alarmisme sexuel» qui prend comme abcès de fixation la pornographie. Les adultes ayant l’impression que les jeunes ont une sexualité influencée par la profusion de vidéos X : violence, absence de sentiments… Bozon y voit un «marronnier médiatique» qui ne résiste pas à l’épreuve des faits : le porno est loin d’être le seul canal d’information des jeunes.
Mais, pour le chercheur, cette panique morale des adultes renforce les rôles sexués. Les filles, qu’on attend responsables et modérées, sont chargées par les parents du rôle de gardiennes de la morale sexuelle. Elles ont la responsabilité de façonner les garçons dans une sexualité politiquement correcte (procréative, hétéro…). Ce qui ne favorise ni l’égalité des sexes ni celle des désirs. A quand la révolution ?
(1) Lire aussi le numéro 60 de la revue «Agora Débats/jeunesse» de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire, éd. Sciences-Po-Les presses, 2012, 17 euros.
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