4 septembre 2012 Le féminisme «prosexe, proporno, proputes» de Morgane Merteuil Par QUENTIN GIRARD
Escort girl et porte-voix du Syndicat du travail sexuel, elle dénonce dans un pamphlet les associations féministes anti-prostitution.
Fichier(s) joint(s) :
libérez.png [ 62.56 Kio | Vu 6920 fois ]
«Dans mon job d’hôtesse de bar américain, j’ai très vite réalisé que si je voulais gagner plus de 20 euros par soirée, il fallait que je me mette à tailler des pipes. A la réflexion, je n’y ai vu aucun inconvénient, préférant cela pour payer mes études à plein d’autres boulots minables.» Ainsi débute Morgane Merteuil, dans son ouvrage Libérez le féminisme !, qui sort cette semaine aux éditions l’Editeur.
En décembre, nous avions rencontré cette jeune femme de 25 ans, qui a mis ses études entre parenthèses. Désormais militante et escort girl à domicile, elle est devenue en 2011 la secrétaire générale du Strass, le Syndicat du travail sexuel. Le jour même de la publication de son portrait dans Libération, un éditeur la contactait. Le résultat, neuf mois plus tard, est un pamphlet contre des associations féministes abolitionnistes comme Ni Putes Ni Soumises ou Osez le féminisme. Elle les accuse d’imposer une image de la femme «mainstream» et «bourgeoise». Pour elle, «leur propagande essentiellement construite autour du principe de dignité de la femme érige en idéal un seul et même modèle d’émancipation vers lequel nous sommes toutes censées être irrésistiblement attirées». Ces associations seraient ainsi responsables depuis une quinzaine d’années d'une dégradation supposée de la réputation des féministes et ne sont ni «émancipatrices» ni «créatrices de nouveaux possibles, sauf pour celles qui, comme Fadela Amara et Caroline de Haas (1), ont su utiliser leur association comme tremplin vers une place bien chaude au gouvernement».
Parfois convaincante, parfois un peu confuse dans son argumentaire, Morgane Merteuil défend au contraire l’idée d’un féminisme pluriel qui considère que toutes les femmes n’aspirent pas forcément aux mêmes choses. Considérant que «les féministes, elles, ne se sont jamais gênées pour disséquer la prostitution, pourquoi une pute ne pourrait-elle pas parler des féministes ?», se demande-t-elle, faussement ingénue. Car l’objet principal de son courroux contre ces associations - qui n’en demandaient sans doute pas tant - est qu’elles soient abolitionnistes, pour une interdiction totale de la prostitution, une mesure défendue par Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes.
Refus d'une société binaire
Si elle passe rapidement sur les Chiennes de Garde, sa première vraie cible est Ni putes ni soumises. Elle leur reproche «d’avoir plus que contribué à la stigmatisation des femmes portant le voile, en les opposant à celles mettant des jupes». «Supposé être le symbole ultime de la soumission des femmes musulmanes, il est pourtant considéré par certaines comme un signe d’affirmation», veut-elle relativiser. Selon elle, une femme qui ne ressemble pas au «modèle émancipé de nos sociétés occidentales» n’est pas forcément une victime de la domination des hommes. Fadela Amara, à vouloir trop plaire à l’Etat français, défendrait une «pensée postcoloniale, revenant à considérer que ce qui est différent est juste "en retard" dans son processus de civilisation et ne demanderait en réalité qu’à être éduqué».
Chez Osez le féminisme aussi, du bulletin d’adhésion à la demande de retrait du mot «Mademoiselle» dans les formulaires administratifs, rien ne va au goût de Morgane Merteuil. Elle s’en prend particulièrement à l'appel Osez le clito !, datant de juin 2011. Qualifiée aussi d’Osez la démago par la journaliste et auteur Gaelle-Marie Zimmermann, «cette campagne restera probablement dans les annales des campagnes les plus énervantes de l’histoire du féminisme français», se moque la secrétaire générale du Strass. «Ces "cours de plaisir" ne sont ni plus ni moins qu’une injonction à normaliser sa sexualité qu’un encouragement à la pratique d’un certain sexe (et quid des femmes non intéressées par le sexe, qui vont d’autant plus se sentir anormales avec cette campagne? )». «Promouvoir les bienfaits du clitoris, d’accord, mais ordonner aux gens de s’y intéresser, non ! Et réduire le plaisir féminin au clitoris, encore moins !», ajoute-t-elle.
«Oui, les femmes peuvent aimer le cul»
Convoquant les écrits de Virginie Despentes ou de l’auteure suisse Grisélidis Réal, Morgane Merteuil réfute l’idée «d’une société binaire, opposants hommes et femmes» et si elle estime que nous vivons effectivement dans une société patriarcale qu'il faut combattre, «les rapports de domination sont bien plus complexes que ça, car plusieurs oppressions se superposent». Elle défend dans la deuxième moitié de son essai le choix libre de la prostitution, les «putes» et les clients : «Oui, les hommes peuvent être tendres et prévenants. Oui, les femmes peuvent aimer le cul. Et oui, se prostituer peut être une manière de se réapproprier son corps et sa sexualité.»
Dans un paragraphe en forme de manifeste, elle déclare ainsi : «Nous sommes prosexe, proporno, proputes, et pour la liberté de porter le voile, ou du moins pour une prise de conscience qu’il n’existe pas une mais des prostitutions, qu’il n’existe pas un mais des voiles (...). C’est seulement alors qu’on pourra qualifier le féminisme de lutte pour la dignité des femmes, entendue comme lutte pour que chaque femme puisse être considérée comme digne quels que soient ses choix.»
Morgane Merteuil, toute à ses attaques et à ses défenses dans ce texte de combat, occulte ou traite rapidement les aspects négatifs de la prostitution ou du voile. Pourtant, comme elle l’écrit elle-même en fin d‘ouvrage, l’objectif du Strass est de se battre contre «l’opprobre morale» mais aussi de lutter contre «le proxénétisme, l’esclavage, le trafic d’être humains et l’exploitation sexuelle des enfants, en étant un lieu de réflexion et s’élaboration d’un travail du sexe autogéré et choisi». Dommage qu’elle ne développe pas un peu ces sujets-là – elle avait de la place pourtant. Elle reproche aux associations féministes de perdre du temps sur des combats inutiles – comme retirer «mademoiselle» des formulaires administratifs – mais peut-être risque-t-elle d’en faire autant si elle s’enferme dans la seule dénonciation de ses têtes de turc.
(1) Fadela Amara a été présidente de l'Association Ni putes ni soumises secrétaire d'État chargée de la Politique de la Ville de 2007 à 2010 et Caroline de Haas a été porte-parole d'Osez le féminisme, collaboratrice de Benoit Hamon et est actuellement conseillère en charge des relations avec les associations et de la lutte contre les violences faites aux femmes auprès de Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes.