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Soirées privées ou abstinence ? Le dilemme des libertins privés de sexe par le Covid
Alors que les clubs restent fermés, de nombreux adeptes du libertinage sont tentés de se retrouver lors de soirées privées où le risque de propagation du Covid grimpe en flèche. Témoignages.
Par Bertrand Métayer
Le 27 janvier 2021 à 11h47
Comment concilier épidémie, gestes barrière et libertinage ? Un an après l’apparition du Covid-19, le monde discret des libertins s’interroge sur la conduite à tenir. Les clubs spécialisés seront les derniers à rouvrir alors que les confinements et les couvre-feux ont limité les possibilités de déplacements et la crainte de la contamination trotte dans toutes les têtes. Ou presque.
Dès le mois de mars, les débats sur les ébats ont tourné court. Le premier et très strict confinement a refroidi les ardeurs de tout le monde, plongeant le milieu dans une inédite abstinence. « Je suis une professionnelle de santé et il n’est pas question de prendre le moindre risque donc nous ne rencontrons plus personne, explique une jeune femme de la région bretonne. Pour nous, le libertinage est un divertissement occasionnel au sein d’une vie professionnelle et personnelle bien remplie. Donc nous patientons en attendant un retour à la normale. Nous sommes en couple donc c’est plus simple. Les célibataires ont plus de mal à supporter cette période ». « Nous avons aussi tout mis sur off, confirme un couple bordelais. On se rabat sur le virtuel même si on a parfois été contactés et tentés. Mais nous trouvions déplacé de prendre un risque alors que le personnel soignant se bat chaque jour contre cette maladie. On nous a aussi proposé un plan avec port du masque et pas d’autres contacts que des caresses ou des pénétrations protégées. Cela n’a pas eu notre tendresse… »
Le boom des « lives »
Pour de nombreux adeptes, la solution est de se rabattre sur Internet. Les sites spécialisés voient leur production et visionnage de vidéos en direct exploser. Il n’est pas rare de voir plusieurs centaines de personnes connectées pour regarder des batifolages en solo, duo, trio et davantage. Mais selon les heures, il n’est pas rare de croiser également des personnes parfaitement habillées. « Certains se filment des heures pendant leur vie quotidienne en racontant leur journée, note un habitué. Mais quand on voit le nombre de gens qui s’exhibent, on voit bien qu’il y a un réel manque. On est comme les amateurs de cinéma ou de théâtre, on a envie que la vie d’avant reprenne, et vite ». En attendant, certains préparent déjà la fin de la parenthèse. « Nous ne souhaitons pas propager le virus, explique un quinquagénaire prudent. Pour le moment, nous privilégions l’amélioration du contenu de notre profil et nous avons pris le temps de réaliser de jolies vidéos… » L’activité en ligne qui se multiplie crée pourtant des attentes qui ne peuvent être assouvies. « En tant que couple dont la femme est bisexuelle, on est extrêmement sollicités, explique un Parisien de 55 ans. Mais on ne trouve pas raisonnable de voir du monde en ce moment. Mais je vous assure que lorsque la situation va s’améliorer, les gens vont se lâcher. Pour moi, le libertinage est un sauveur de couple car il permet de vivre ses fantasmes sans mentir. C’est un jeu où il faut être intelligent, savoir prêter sa femme et accepter que sa femme offre son mari. Certains ont comme hobby la pêche ou la chasse, moi c’est le sexe. Pour ça, impossible d’avoir de la distance. C’est difficile en ce moment de ne pas avoir cette soupape. Mais on est patients ». Face aux difficultés, les organisateurs de soirées privées composent avec les restrictions. Certains continuent de convier des clients mais exigent des tests PCR récents et négatifs. Mais ils sont rares. « Dans ces conditions, personne ne viendrait, explique un organisateur d’événements qui peuvent rassembler jusqu’à 300 personnes en région parisienne. Il n’y aurait aucun intérêt à prendre des risques en ce moment. Les gens se retrouvent à quelques-uns chez eux. Comme les apéros et les dîners, ça n’a jamais arrêté. Mais cela n’a rien à voir avec ce que l’on a pu connaître ».
Face aux difficultés, certains jouent totalement la carte du numérique. C’est le cas de Sixsy et Mtwoti. Ce couple a créé et anime Saturday’sXtase, une duplication d’un club libertin par écrans interposés. « Nous organisions des soirées privées et nous nous sommes retrouvés dans la même situation que les clubs, explique Mtwoti, un Bordelais de 30 ans. On a imaginé cet espace virtuel pour contrer l’isolement de notre communauté et permettre de se rencontrer sans danger ». Ouvert en permanence, le club fait surtout le plein le samedi soir avec une cinquantaine de webcams qui s’ouvrent vers une piste de danse ou un coin plus intimiste dont la porte reste parfois ouverte. Les discussions permettent de se connaître avant éventuellement de prendre une tournure sexuelle. Mais toujours à distance. « On a beaucoup d’habitués et quelques curieux, poursuit le jeune homme, lui-même considéré comme personne à risque vis-à-vis du Covid. On a beaucoup de propositions pour organiser de vraies soirées, entre deux et trois par jour. Mais on joue le jeu et on reste sur nos principes. Je n’ai pas envie d’outrepasser la loi ni de mettre en la vie des gens en danger ».
« Nous nous sommes tous les quatre fait tester »
Tous n’arrivent pourtant pas à s’interdire totalement les sorties. Beaucoup parlent d’un relâchement depuis plusieurs semaines. Plusieurs soirées dans des clubs pourtant fermés ont été interrompues par les forces de l’ordre. En ligne, les propositions affluent et il semble de plus en plus difficile de refuser. « Nous avions mis tout cela entre parenthèses mais nous avons fini par inviter un couple d’amis à la maison, souffle Estelle en précisant avoir pris des précautions. Nous nous sommes tous les quatre fait tester avant. Il y avait donc moins d’appréhension. Cela m’angoisserait vraiment d’aller dans une soirée avec beaucoup de monde. Mais le libertinage fait partie intégrante de notre mode de vie et du fonctionnement de notre couple. Il y a donc un réel manque ». Ce vide, de nombreux couples libertins apprennent à le combler depuis le mois de mars. Entre espoirs et désillusions comme le décrivent Lucie et Saïd. « On a d’abord tout arrêté puis lorsque les clubs ont rouvert au printemps, on a essayé mais il y avait des contraintes et il fallait s’inscrire à l’avance, c’était compliqué. En août, on a rencontré quelqu’un. Mais depuis plus rien… jusqu’à ce week-end. On sait qu’on prend un risque, pourtant on ne demande pas de test. Nos rapports sont protégés mais on s’embrasse, il y a des échanges. Pour bien faire, il faudrait faire des tests constamment. C’est impossible. » Le quadra et la trentenaire, installés dans le Nord, observent une rigueur assez stricte dans la vie quotidienne. Ils portent scrupuleusement leurs masques et limitent les interactions sociales au maximum. Mais difficile pour eux de renoncer à long terme aux plaisirs collectifs. « On a décidé de reprendre pour notre équilibre de vie, glisse le couple qui s’est rencontré sur un site libertin il y a sept ans. On va respecter le couvre-feu mais on est prêt à recevoir des gens. Le confinement a été une épreuve comme pour tous les couples qui se sont retrouvés ensemble 24 heures sur 24. Pour nous, le manque de sexe libertin est vraiment très pesant ».
« Le libertinage c’est la liberté, soit totale soit pas du tout »
Un témoignage dans lequel se reconnaît Véronique. Cette mère de famille a eu peur au début. Puis a cédé à l’envie. « La fermeture des clubs a été une catastrophe pour nous, car là-bas, on a le choix, on repère, on piste, on cherche à séduire, c’est magique, sourit la Toulousaine. Malgré les efforts pour diversifier notre vie sexuelle de couple, nous avons craqué et décidé de rencontrer des gens que nous avions déjà vus régulièrement auparavant. Sans masques ni position fleurette comme conseillé par certains… Le libertinage c’est la liberté, soit totale soit pas du tout. Chacun ses choix ! » Durant l’été, le couple hésite à honorer la réservation effectuée au cap d’Agde. « On en a discuté puis on y est allé et on s’est éclaté. En revanche on a chopé le virus ». Le camp naturiste de l’Hérault, haut lieu du libertinage en France, a été touché cet été par une vague de contaminations. « Résultat, on était immunisés ! » Depuis la rentrée, le couple rencontre de nouveau d’autres libertins à un rythme à peine moins intense que l’an dernier. « Nous nous organisons pour arriver avant le couvre-feu, nous dormons sur place ou nous hébergeons ceux que l’on reçoit ». Mais le passage à 18 heures change beaucoup de choses. Le rendez-vous fixé le week-end dernier avec quatre autres couples a été annulé : « Trop compliqué à organiser ».
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