De Christophe à Christa: «J'avais l'intuition d'être femme»
Transgenre — A 60 ans, Christophe Muth, un Allemand installé dans le Nord vaudois, est devenu Christa. A l’occasion de la sortie d’un documentaire, elle raconte son long parcours. Par Laurent Grabet.
Interview de l'expert, Alecs Recher, président de Transgender Network Switzerland
Est-il rare qu’une personne change de sexe sur le tard comme Christa Muth?
- Pas vraiment. Entre 60 et 70 ans, on peut même presque dire que c’est courant. Nous avons récemment eu une demande d’une personne de 92 ans. Lors de leur jeunesse, les personnes d’un certain âge avaient très peu d’informations et encore moins la possibilité de changer de sexe. Aujourd’hui que les choses ont changé, elles en profitent.
Franchir le pas est donc devenu plus facile aujourd’hui?
- Oui et non. Oui, parce qu’on parle plus ouvertement de ces thématiques dans la société d’aujourd’hui et que les médias véhiculent une image plus positive et conforme à
la réalité des personnes transgenres. Et non, parce que cette décision reste individuelle et peut donc être passablement compliquée ou facilitée par l’entourage et le contexte professionnel de la personne concernée.
En quoi la Suisse peut-elle faire des progrès sur la question?
- Tout d’abord, au niveau des techniques d’opération. Nous sommes très en retard sur des pays comme la Thaïlande ou les Etats-Unis, tout simplement parce que l’expérience manque. Résultat: trop de personnes doivent repasser sur le billard pour réparer les dégâts d’une première opération mal réalisée. Le remboursement des opérations par les caisses maladie pose également problème, comme dans le cas de Christa Muth. Enfin, les personnes transgenres sont encore trop souvent discriminées à l’embauche.
Alecs Recher a lui-même changé de sexe à l’âge de 32 ans. Avant, le Zurichois s’appelait Anja.
Le chiffre: 139. Nombre d’opérations de changement de sexe réalisées par année dans une clinique de Bangkok (coût: environ 25 000 fr.), contre seulement 2 à 3 dans les hôpitaux de Zurich, de Bâle et de Lausanne réunis, où elles coûtent 60 000 à 70 000 fr.
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«Je n’ai jamais été autant à ma place qu’aujourd’hui. Je suis enfin chez moi en moi.» Christa Muth rayonne. Presque six décennies durant, elle a vécu dans un corps d’homme une vie d’homme. Celle de Christophe, professeur de management reconnu et apprécié de tous à la HEIG-VD d’Yverdon-les-Bains, époux et père de famille. Le 12 décembre 2008 pourtant, dans une salle d’opération de Bangkok, Chris a subi une vaginoplastie.
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Le début d’un long «voyage vers le soi». Vers cette Christa qu’elle a toujours été au fond d’elle. Ce changement, l’Allemande de 63 ans l’a aujourd’hui en grande partie apprivoisé. Malgré son mètre huitante-trois et ses chaussures pointure 44, il lui est devenu si naturel qu’il le devient pour ses interlocuteurs dès qu’elle parle, rit ou croise les jambes. Un documentaire qui sera diffusé le 27 septembre aux Cinémas du Grütli, à Genève, en témoigne.
«J’ai toujours eu deux âmes en moi. Une masculine et une féminine, et la seconde était plus forte que la première. Dès le berceau j’avais cette intuition que j’étais femme. A l’adolescence, ça a été horrible quand j’ai compris que j’allais grandir et devenir homme. Je me travestissais en cachette. J’aimais le bricolage et la mécanique, mais, à part ça, je ne me sentais pas à ma place dans le monde des mecs.»
Les années passent. Christophe grandit, conduit des camions et oublie son côté two-spirit (entre les deux) dans la méditation. Il lui faut construire une carrière. Résoudre ses problèmes identitaires en parallèle n’est pas gérable. D’autant que le jeune homme est sexuellement attiré par les femmes et que de belles histoires d’amour jalonnent son parcours.
«Mais elles finissaient toujours dans un rapport de jalousie. Car je me disais: «Pourquoi je ne suis pas elle?» Alors, à la trentaine, Chris part une première fois à la recherche de Christa et vit quelques mois en tant que femme à Zurich. «J’étais alors en accord avec moi-même, mais j’ai mis fin à l’expérience, car cela me semblait trop lourd à porter.
A l’époque, on parlait peu de transsexualité et je ne me sentais pas la force de renoncer à tout ce que j’avais construit jusque-là.» Christophe se laisse repousser la barbe, revient en Suisse romande et poursuit sa route. Un mariage. Un enfant. Beaucoup d’amis des deux sexes et de succès professionnels. Mais toujours cette «souffrance omniprésente» en arrière-fond qui monte insidieusement.
En 2007, son corps dit stop. Christophe est cloué au lit par un mal de dos. «J’ai compris que c’était psychosomatique et qu’il me fallait enfin prendre mes responsabilités. Je n’avais plus d’énergie masculine pour continuer ma route. J’ai pensé à changer de sexe. Dès que je me disais «j’y vais», j’allais mieux et je renonçais alors à mon projet. Mais je rechutais illico.»
Une fois sa décision vraiment prise, Christophe en parle à ses proches. Sa famille ne le comprend pas et prend ses distances. Une année à peine après avoir décidé de changer de sexe et s’être mis sous traitement hormonal, Christophe se fait opérer en Thaïlande. «Tout s’est bien passé. J’étais sur un petit nuage, se souvient-elle. Là-bas, ils ont l’habitude.»
Mais le plus dur reste à faire: rendre publique sa nouvelle identité. Avant cela, Christa s’accorde quelques mois d’androgynie en Chris. Elle annonce tout d’abord la nouvelle au comité de l’association industrielle qu’elle préside, mais l’info est ébruitée. «Je me suis sentie violée. On ne pouvait plus revenir en arrière, alors j’ai envoyé un e-mail d’explication à mes connaissances. La plupart l’ont bien pris. Ça m’a fait beaucoup de bien.»
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Christa a le soutien de sa hiérarchie, qui veut faire de sa «transition» un «non-événement». Ses étudiants, qui l’ont toujours adoré comme prof, tiquent parfois mais s’habituent. «Ils m’ont portée. La première fois que je les ai revus, l’un d’eux m’a embrassée alors que je lui tendais la main. Il a dit: «Moi, les nanas, je leur fais la bise!»
Un jour, un passant lâche: «A l’époque, ça aurait été la chambre à gaz pour des gens comme vous!» Christa lui cloue vertement le bec. Aujourd’hui, elle en rit, son apparence extérieure est en conformité avec son identité intérieure. Elle est sereine. «D’habitude, je ne parle jamais de ma transsexualité. Un être humain ne saurait se résumer à cette particularité.»
«Entre il et ailes - Devenir femme à 60 ans», à voir au festival Everybody’s Perfect, cinéma lesbien, gay, bi, trans, intersexe, queer, du 21 au 30 septembre, Cinémas du Grütli, Genève.