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«Laurence Anyways» : une femme n'est pas une femme Par ERIC LORET
Pour son troisième film, Xavier Dolan soulève non pas sa robe mais la question du genre.
C'est l'histoire de Laurence, 30 ans (Melvil Poupaud), qui vit avec sa copine Fred (l'excellente Suzanne Clément) et qui s'aperçoit qu'il est une femme. Ontologiquement, en quelque sorte. Une femme née dans un corps d'homme. Mais il n'est pas homosexuel, comme il l'explique. Il n'aime pas les hommes. Plus tard, après Fred, il aura une autre petite copine.
Ce n'est donc pas le choix de l'objet sexuel qui fait la femme (on s'en serait douté). Mais quoi alors ? Les seins, le vagin ? Les boucles d'oreilles ? Plusieurs plaisanteries circulent au long du film sur le fait que Laurence a gardé ses testicules. Donc, ce ne sont pas les organes génitaux qui font le genre. C'était aussi l'avis de Buck Angel, dit «l'homme qui avait une chatte», qu'on avait portraituré il y a quatre ans.
Si ce n'est le sexe lui-même, ce sont peut-être les signes sexuels secondaires. Laurence prend des hormones, se laisse pousser les cheveux, porte des robes. De fait, il n'est pas en femme, il est plutôt en femme qui se prend pour une femme. Ce qui fait la femme, si l'on comprend bien, c'est vouloir l'être. Le signifiant, l'emballage. En 1929, la psychanalyste Joan Riviere a écrit des trucs intéressants là-dessus, dans un article intitulé «La féminité comme mascarade» (téléchargez des extraits ici).
Les maquilleurs ont bien fait le job. Ils ont donné à Poupaud des cheveux longs de femme qui seraient ceux qu'un homme de 40 ans aurait laissé pousser, un peu filasse, implantés à la garçonne, rien de glamour. Le plus intéressant, bien sûr, c'est que pour devenir femme, Laurence ne s'habille pas en femme normale de la fin des années 80 (Laurence anyways est un film en costume) mais en rombière idéale ou en secrétaire de direction prise de folie, comme souvent les travestis. C'est-à-dire qu'il n'est devenu aucune femme existante, plutôt une sorte d'image grotesque.
Ce qui est assez conséquent avec la musique de la B.O., archives de Dépède Moche alignées sur Moderat et son A New Error de 2009. On apprécie la symbolique de la pochette.
Si des litres de désherbant ont été nécessaires pour épiler le velu Melvil Poupaud, il a aussi fallu lui trouver une coupe de cheveux. On sait l'exubérance de Xavier Dolan en ce domaine, qui porte généralement un phallus choucrouteux sur la tête.
Mais avec la perruque de Poupaud étripée sur le crâne, il n'est pas mal non plus.
Pour Melvil, c'est la coupe de Rita Hayworth qui a été choisie, reprise plus récemment par Lana Del Rey. Bref, un truc en "a" quoi qu'il en soit, marqueur maousse de féminité, et surtout de cinéma (ce qui, dans le cas de Lana, la dispense de chanter).
La migration des poils de la barbe sur la tête où ils deviennent de longues anglaises marque classiquement un changement de territoire, du masculin au féminin. Ce qui fait que le genre n'est définitivement plus une question de sexe, mais juste de position topographique, selon qu'on se situe à un pôle du visage ou à l'autre.
Du coup, être femme ou homme, c'est glisser son corps dans une fiction. La séquence la plus réussie de Laurence anyways est celle où Fred, débarrassée de Laurence, se déguise en bombe et entre glorieuse dans une boîte de nuit, métamorphosée en reine du dancefloor. Xavier Dolan y a parfaitement mis en image la façon dont le corps devient, par moments, un outil de notre devenir.
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