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21 février 2012 - L’orgasme féminin, c'est bon pour la société Par QUENTIN GIRARD
Le «Bréviaire de l'amour expérimental» de Jules Guyot défendait en 1859 l'importance du plaisir féminin. Il vient d'être réédité.
«Il n'existe pas de femme sans besoin (...) mais, en revanche, il existe un nombre immense d'ignorants, d'égoïstes et de brutaux qui ne se donnent pas la peine d'étudier l'instrument que Dieu leur a confié», écrit Jules Guyot (1807-1872), médecin et ingénieur, sous le Second Empire. En 1882 est publié à titre posthume son Bréviaire de l'amour expérimental qui connaît à l'époque un certain succès avant de tomber dans l'oubli. Sur quelques dizaines de pages, cet homme, inventeur maladroit mais viticulteur émérite, vaguement révolutionnaire dans sa prime jeunesse puis vrai bourgeois, explique comment et pourquoi le plaisir féminin est essentiel au bon fonctionnement du couple et de la société.
Rédigé en 1859 à une époque où le positivisme triomphe et où les milieux bourgeois inventent le mariage d'amour pour se différencier des aristocrates supposés libertins et des ouvriers supposés sagouins, ce bréviaire laïque fut l'un des premiers ouvrages à interroger le clitoris, l'orgasme et le plaisir féminin. Réédité par les éditions Payot & Rivages en 2012, s'il «ne préconise pas la liberté amoureuse ou le libertinage, mais au contraire les "symphonies conjugales", le mariage harmonieux, donc fidèle et durable», «il prône clairement l'égal droit et l'égale aptitude au plaisir de chaque sexe», comme l'explique l'historienne Sylvie Chaperon dans la préface. Ses propos sont atypiques, pour l'époque – où l'on considère souvent que les femmes n'ont pas besoin d'accéder au plaisir – et, encore aujourd'hui, ils ne sont pas une évidence pour tout le monde.
Le texte de Jules Guyot se veut le plus scientifique possible, donc parfois un peu rébarbatif. Les métaphores sur les atomes et les pôles électriques abondent. Le sexe masculin est ainsi désigné sous le terme de «moitié positive», le féminin est la «moitié négative», l'association des deux formant «l'appareil d'organes propres à la reproduction». L'orgasme est lui un «spasme génésique» (ne dites plus donc «j'ai joui» mais «j'ai eu un spasme génésique», voire «j'ai génésiquement spasmé»).
La volonté de départ est claire: puisque l'on étudie tout de manière scientifique, pourquoi abandonner les questions sexuelles, ce qui est selon Jules Guyot l'exercice le plus important pour l'humanité, aux «lazzis», «chansons», «images obscènes» et autres «courtisanes» ?
Par une vision volontairement mécanique de l'acte, il explique l'une des bases selon lui de l'incompréhension entre l'homme et la femme : si le vagin est «la voie nécessaire à la fécondation, il ne concourt à l'exercice du sens négatif que comme excitant complémentaire. Mais comme il est l'excitant principal du sens positif, le mâle s'y satisfait et abandonne ordinairement la femelle». Il souligne que, selon ses études, «le clitoris est le seul siège du sens et du spasme génésique chez la femme» et il regrette qu'il «échappe à la connaissance de la plupart des hommes». Rechercher l'orgasme est donc une preuve d'amour et un moyen de préserver la fidélité chez les membres du ménage, ainsi que d'assurer les besoins reproductifs.
Pour ce proche du Prince Napoléon (le cousin de Napoléon III), bien introduit dans la bonne société, il convient à la médecine de connaître les bases de cet «amour conjugal» et de l'enseigner «aux maris, dans l'intérêt des ménages, des familles, et de la société tout entière». Car s'il parle beaucoup de plaisir féminin, la majorité des initiatives dans l'acte sexuel sont laissées aux maris.
D'ailleurs, on ne sait pas ce que pensait madame Guyot (Louise-Elisabeth Baudrand) des écrits de son mari, il ne la mentionne jamais.
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