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Addict au sexe : «Réapprendre le sens du désir vrai»
Par Agnès Leclair - le 23/11/2011
INTERVIEW - Marc Valleur, psychiatre, est médecin-chef de l'hôpital Marmottan à Paris, centre de soins et d'accompagnement des pratiques addictives. En juin, il a publié un essai sur les thèmes des addictions contemporaines, Le Désir malade (Éd. JC Lattès), avec Jean-Claude Matysiak.
Le Figaro.
En France, il existe des consultations pour les dépendants sexuels mais il n'y a pas de centres spécialisés comme aux États-Unis.
Sommes-nous en retard ?
Marc VALLEUR. - Il faut se méfier des cures de désintoxication «à l'américaine», effectuées dans des cliniques privées pour un coût exorbitant. Quand le golfeur Tiger Woods va dans un centre, le fait-il pour soigner une vraie addiction ou pour se racheter une conduite et améliorer son image ?
En France, plusieurs hôpitaux prennent aujourd'hui en charge des «sex addicts», qui dans leur grande majorité sont dépendants aux sites pornographiques sur Internet. L'addiction au sexe commence à être mieux reconnue, comme l'ensemble des addictions dites sans drogues. À Marmottan, une consultation existe depuis cinq ans. Nous avons une psychologue qui s'est spécialisée sur ce sujet et suit une centaine de patients. Il arrive que ces derniers soient hospitalisés mais pour dépression, et non directement pour leur dépendance.
Comment pose-t-on le diagnostic ?
Le dépendant au sexe n'est pas forcément une personne à la vie sexuelle intense. C'est une personne qui ne parvient pas à arrêter ces pratiques alors qu'elle le souhaite et cette compulsion détruit sa vie professionnelle, affective… Nous avons parfois des demandes de consultation de personnes qui pensent à tort être dépendantes au sexe. Des maris qui ont trompé leur femme par exemple. Ils se sentent très coupables et imaginent qu'ils sont malades.
Comment soigne-t-on une addiction au sexe ?
La base du traitement est la psychothérapie, avec une dimension comportementale dans un premier temps afin de trouver les déclencheurs des pulsions et réfléchir à la manière de les faire cesser. Puis il faut comprendre pourquoi la sexualité est surinvestie et si l'addiction masque une dépression. Cela peut prendre plusieurs mois comme plusieurs années. Mais en parler, c'est déjà commencer à sortir de la spirale addictive et à briser la solitude, un facteur dépressogène. Cette première étape est essentielle. Il ne s'agit pas de faire du sevrage. Lors de ce travail, les patients doivent réapprendre à voir l'autre comme une personne et non comme un objet pour retrouver le sens du désir vrai.
Groupes de paroles, traitements médicamenteux : que pensez-vous des autres formes de prise en charge ?
Il existe un groupe d'entraide sur le modèle des alcooliques anonymes : les Dasa (dépendants affectifs et sexuels anonymes), qui appliquent un programme en douze étapes pour le maintien de l'abstinence. Ce mouvement, d'origine protestante, est né en 1935. Il n'implique ni argent ni relation de pouvoir et n'entre pas en concurrence avec la psychothérapie. Ce type de groupe peut aider les patients à se sentir moins seuls.
Par ailleurs, il n'y a pas de traitement chimique spécifique pour l'addiction sexuelle, mais les antidépresseurs peuvent être indiqués car elle est souvent associée à une dépression. Les médicaments peuvent aussi aider à éliminer les pensées obsédantes, répétitives.
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Citation :
Le sexe, une addiction comme une autre ?
Par Agnès Leclair, - le 23/11/2011
PSYCHOLOGIE - Des spécialistes de la dépendance sexuelle racontent la mécanique de cette maladie encore taboue.
Depuis l'arrestation de Dominique Strauss-Kahn, à New York, en mai dernier, le cabinet du psychanalyste Jean-Benoît Dumonteix ne désemplit pas. «L'affaire DSK a servi de révélateur, estime ce spécialiste de l'addiction sexuelle. Je reçois des hommes qui me disent : “Quand j'ai vu DSK devant la justice américaine, j'ai eu l'impression d'être jugé à sa place.” Cette affaire a eu un rôle salvateur pour un certain nombre de personnes dépendantes au sexe, qui ont présumé que l'ancien directeur du FMI était atteint de la même pathologie qu'eux et sont sorties du déni.»
Jusqu'à récemment, en France, l'addiction au sexe avait l'image d'une pseudo-pathologie, réservée à quelques stars américaines comme Tiger Woods, David Duchovny ou Michael Douglas, adeptes du mea culpa et pris en charge dans des centres spécialisés. «Il y a aujourd'hui une prise de conscience, mais le phénomène n'est pas en expansion», précise Jean-Benoît Dumonteix.
La dépendance sexuelle est répertoriée comme un dysfonctionnement dans le DSM, manuel de référence publié par l'Association américaine de psychiatrie (AAP). Le concept est apparu durant les années 1970 avant d'être décrit en 1980 dans un livre par le docteur Patrick Carnes. Les travaux du psychiatre américain Aviel Goodman, qui a développé la notion de dépendance sexuelle, font également référence. «Mais n'oublions pas que Freud a également décrit la masturbation comme l'addiction originelle», rappelle le psychiatre Marc Valleur.
Angoisse ou stress Entre 3 et 6 % de la population sexuellement active pourrait être concernée, et cette pathologie toucherait essentiellement des hommes, selon une étude de 2011 du Pr Florence Thibaut, du service de psychiatrie du CHU de Rouen et de l'Inserm. «On s'intéresse peu à l'addiction sexuelle, car il y a encore beaucoup de tabous en France sur la question», estime-t-elle.
Dans la vie, ce besoin irrépressible peut aussi bien se traduire par la multiplication des conquêtes sexuelles ou des partenaires, que par le recours régulier à la prostitution ou la fréquentation compulsive des sites ou de films pornographiques.
Mais comment faire le distinguo entre une sexualité très active, un besoin de séduction frénétique et une dépendance pathologique ? «Cette addiction consiste à privilégier le comportement sexuel à toute autre forme de comportement social ou à toute autre activité, car le dépendant ne peut pas s'arrêter. Comme pour l'alcool ou le tabac», explique le Pr Thibaut. À chaque fois que la personne dépendante est assaillie par l'angoisse ou le stress, elle va chercher à fuir ce sentiment en passant par un acte sexuel. Après un moment de soulagement, cette pratique va lui renvoyer une mauvaise image de soi et relancer le processus. Le cercle vicieux est enclenché, et les comportements vont s'intensifier dans une fuite effrénée vers un apaisement toujours plus difficile à obtenir.
» INTERVIEW - «Réapprendre à l'addict le sens du désir vrai»
Les «sex addicts» finissent ainsi par se couper du monde. «Certains peuvent passer la journée à se masturber devant des films, se font renvoyer car ils n'ont pas pu s'empêcher de fréquenter des sites spécialisés durant leur travail, d'autres se ruinent en escorts girls, leur femme les quittent…», décrit Jean-Benoît Dumonteix. Leurs points communs ? Un isolement progressif, un état dépressif et une estime de soi au plus bas. «Le sexe sans émotion produit une addiction», estime le D r Catherine Solano (Cochin), auteur de La Mécanique sexuelle des hommes (Robert Laffont).
Des milieux propices ? Selon Jean-Benoît Dumonteix, dont la clientèle est masculine à 95 %, «il y a presque toujours un traumatisme d'enfance à l'origine de ces comportements». Parfois un viol, un attouchement, mais souvent une intrusion dans l'intimité de l'enfant ou une exposition à des images ou des comportements déplacés. En consultation, Jean-Benoît Dumonteix voit défiler une majorité de jeunes hommes âgés de 25 à 35 ans, qui ont découvert le porno sur Internet et n'arrivent pas à en décrocher. «Certains ont commencé à 15 ans et ont déjà dix ans d'addiction derrière eux», raconte-t-il. «Ceux qui ont des rencontres physiques avec des prostitués sont moins nombreux», confirme Marc Valleur. Une réalité à mille lieues du mythe de Don Juan.
«Je reçois aussi quelques avocats, chirurgiens ou hommes d'affaires qui gèrent une telle charge de stress qu'ils tombent dans ce type d'addiction. Mais eux aussi souffrent avant tout d'un traumatisme», décrit Jean-Benoît Dumonteix. «Les milieux de pouvoir sont des terrains propices pour l'hypersexualité, car il y est beaucoup plus facile de séduire et de conquérir», rappelle le Dr Catherine Solano. Selon le Pr Florence Thibaut, la célébrité ne saurait être un facteur déterminant. «Les cas des célébrités sont médiatisés, mais nous voyons arriver des gens lambda qui souffrent exactement de la même chose. C'est exactement comme pour la drogue», conclut-elle.
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