Panne prolongée pour le géant de l'érotique Beate Uhse
Reportage | | 11.11.11 | 12h59 • Mis à jour le 11.11.11 | 16h10
Chez le numéro un européen de l'érotique, l'ambiance n'est pas au "bunga bunga". L'entreprise d'origine allemande Beate Uhse AG, spécialiste de la vente d'articles pornographiques et érotiques, est en pleine déconfiture. Les résultats, présentés vendredi 11 novembre, font apparaître une baisse de 25,7 % du chiffre d'affaires, à 109,4 millions d'euros, sur les neuf premiers mois de l'année.
Depuis qu'il est en consultation gratuite sur Internet, le porno ne paye plus. Les ventes de Beate Uhse n'en finissent pas de reculer : de 285 millions d'euros en 2005, elles sont passées à 197 millions en 2010, soit une baisse de 14 % rapport à l'exercice précédent. Cette année, elles pourraient reculer de 27 %.
Quant au résultat, qui était positif de 10 millions en 2006, la dernière année où l'entreprise a gagné de l'argent il s'est transformé en une perte de 68 millions en 2010. Sur les neuf premiers mois de 2011, la perte atteint 5,7 millions, alors qu'elle était de 12,8 millions un an plus tôt sur la même période. Le groupe Beate Uhse, en pleine restructuration, est à la recherche de sa vigueur passée. Le défi n'aurait pas déplu à Beate Uhse, la mythique fondatrice d'un groupe aujourd'hui présent dans quinze pays.
Pendant la Seconde guerre mondiale, Beate, née en 1919 dans l'ancienne Prusse orientale, est l'une des rares femmes pilote à la Luftwaffe. En 1945, échouée à Flensburg (nord), veuve et mère d'un petit garçon, elle enseigne aux femmes angoissées de l'Allemagne sinistrée les bases de la méthode de contraception naturelle Ogino, reçue de sa mère infirmière.
L'intérêt suscité par ses conseils lui donne l'idée qui fera d'elle une riche femme d'affaires : sur la rotative paroissiale du pasteur de Flensburg, chez qui elle occupe une chambre de bonne, elle édite des bulletins d'informations qui livrent sans tabou ses astuces sur le sexe et la contraception.
La lettre Schrift X est née. En 1947, elle se vend à 32 000 exemplaires au prix de 50 pfennigs. Et est bientôt fournie avec préservatifs et lubrifiant. C'est le début de la maison de vente par correspondance d'articles érotiques Beate Uhse.
Le succès est immédiat. En 1962, elle ouvre à Flensburg un magasin "d'article d'hygiène de couple", le premier sex-shop au monde. Très vite, les boutiques se multiplient dans tout le pays.
Régulièrement attaquée par les conservateurs, Beate Uhse défend des idées jugées à l'époque incongrues : "Un orgasme est un état normal", lancera-t-elle en plein procès. Elle est aussi la première à défendre la contraception, dans une Allemagne très prude. En 1975, avec la légalisation de la contraception et la libéralisation de la pornographie, l'industrie du sexe explose.
Pour conserver ses parts de marché, Beate Uhse se lance dans la production de films pornographiques, qu'elle vend surtout par correspondance. En novembre 1989, dès l'ouverture du mur de Berlin, elle fait distribuer gratuitement des exemplaires de son catalogue dans toute l'Allemagne de l'Est.
En 1999, c'est la consécration. Beate Uhse entre en bourse. Le géant de l'érotique diffuse désormais dans toute l'Europe une très large palette de produits : des classiques poupées gonflables aux pompes à pénis, en passant par les incontournables vibromasseurs. Beate Uhse est considérée comme une des grandes figures historiques de l'après-guerre allemand, presque une institution.
Mais depuis la mort de la fondatrice, en 2001, Beate Uhse AG, passée sous contrôle néerlandais, souffre. Les résultats sont en chute libre, l'image de l'entreprise vieillit. Les vitrines des boutiques, souvent localisées près des gares ou dans les rues reculées, perdent en modernité. "Beate Uhse, c'est la bonne vieille RFA", estime Daniela Zinser, du Spiegel online. C'était avant Internet. Désormais, la traditionnelle vente par correspondance sur catalogue est dépassée. La pornographie gratuite sur le Web ruine le modèle de l'entreprise, qui s'était peu à peu spécialisée sur les films destinés à une clientèle essentiellement masculine.
"Il y a cette image des boutiques comme des lieux un peu cochons, qui colle à l'entreprise, alors que les magasins valent mieux que leur réputation", regrette Anja Braun, trentenaire, directrice du magazine érotique Feigenblatt. "Beate Uhse, à son époque, a permis de parler ouvertement de la contraception (...). La génération de mes parents lui est reconnaissante, dit-elle, la mienne ne différencie plus la marque des autres chaînes de sex-shop".
Pour la journaliste, "l'en-treprise a perdu l'idée originelle de Beate Uhse", celle qu'on peut vivre sa sexualité sans se cacher. "C'était à l'époque destiné aux deux sexes et pas seulement pour les hommes. Il manque désormais cette approche".
Beate Uhse AG cherche pourtant à se réinventer. Elle a lancé une chaîne de sex-shops pour les femmes, les premiers du genre, et a inauguré il y a quatre ans un grand magasin dédié au sexe sur plusieurs étages, localisé dans une rue piétonne, en plein coeur de Munich. L'accueil est bon, dit-on chez Beate Uhse, mais le succès tarde à se répercuter sur les bénéfices de l'entreprise. "Trop tard", estime Anja Braun.
Beate Uhse aurait-elle raté le coche ? D'autres firmes, en tout cas, profitent du nouvel essor des produits érotiques. C'est le cas de Fun Factory, entreprise allemande fondée en 1996, qui a pignon sur rue depuis un an près de la très branchée et très touristique place Hackescher Markt, à Berlin.
Les boutiques, portes ouvertes et vitrines transparentes, présentent des sex-toys de toutes les couleurs, en pleine lumière. Rien à voir avec le sex-shop traditionnel. "Nous nous différencions du porno, nous vendons des produits de style, esthétiques, et nous nous adressons à tous", explique Anika Scherer de Patino, de chez Fun Factory.
Le nouveau groupe cible les femmes. "Mais beaucoup de nos clients viennent en couple, précise Mme Scherer de Patino, nous voulons proposer des produits érotiques à tous". Un slogan que Beate Uhse n'aurait elle-même pas renié.
Cécile Boutelet