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14 oct. 2012 | par François Touzain
Certains des saunas gay zurichois servent officieusement de bordel.
Un essai examine les relations entre les escorts et leurs clients, en marge de la scène gay de Zurich. Un milieu dont on parle peu, mais qui n'est pas exempt de détresse, de honte et de haine de soi, raconte l'auteur.
Un monde caché et complexe, échappant aux regards du grand public: il en va ainsi de la prostitution masculine dans le milieu gay. Le journaliste alémanique Olivier Demont a consacré à cette «sous-culture» un essai qui vient de sortir en Suisse. Il s'est intéressé à Zurich, qu'il qualifie de «hot-spot» pour cette activité, attirant des travailleurs du sexe de toute l'Europe et d'Amérique latine, du Brésil, surtout. D'après des estimations, ils sont 700 hommes à proposer leurs prestations, principalement dans les saunas de la ville et via internet.
Le travail d'Olivier Demont se singularise par l'intérêt qu'il porte aux clients, dont les biographies sont souvent marquées par une «double vie» ou coming-out tardif. Dans une interview à la «NZZ am Sonntag», il cite le cas d'un peintre en bâtiment de 58 ans, marié et père de famille, visiteur régulier d'un sauna de Zurich officieusement spécialisé dans la prostitution. «Il ne veut rien avoir à faire avec la scène gay, dont il parle avec mépris, explique le journaliste. Cela ressemble à un cliché des années 1950, mais l'homme dit qu'il rencontre sur place beaucoup d'hommes comme lui.» La honte de son orientation sexuelle est prégnante parmi les clients, note-t-il.
Malgré tout, les rapports prostitué-client sont loin d'être uniformes. «Bien des clients développent vis-à-vis de l'escort le fantasme qu'ils peuvent le sauver, parfois il se voient aussi comme une sorte de père, raconte Olivier Demont. Dans le livre, un psychiatre raconte qu'une passion pour un Cubain lui avait coûté 300'000 francs (250'000 euros). Il y a des prostitués qui abusent de la situation, mais en l'occurrence, le psy ne semblait ne pas regretter son engagement.» L'aspect affectif serait beaucoup plus présent qu'on pourrait le penser, comme en témoigne un autre habitué des saunas, «déprimé et jaloux quand un prostitué, après le sexe, disparaissait dans une cabine avec un autre homme». Autre ressort de cette relation: l'angoisse partagée par de nombreux hommes âgés, qui tentent, auprès des escorts, de se rassurer sur leurs performances physiques.
L'impression que la prostitution masculine est une activité relativement peu problématique par rapport à la prostitution féminine est trompeuse, note Olivier Demont. Le proxénétisme et l'exploitation seraient monnaie courante. Les Brésiliens, notamment, seraient soumis à la location de chambres à prix d'or. Des jeunes hétérosexuels venus d'Europe de l'Est pour se prostituer forment une population encore plus précaire. «Ils trouvent les Suisses gentils, mais parfois ils éprouvent aussi de la haine – contre leurs clients, contre eux-mêmes, contre tout. La plupart prennent du Viagra ou alors ils tirent une satisfaction narcissique à se sentir attractifs et convoités. Il y a aussi ceux, principalement venus de Roumanie et de Bulgarie, dont les gays se méfient à juste titre. Peut-être qu'ils tirent un profit du sentiment de rabaisser les gays lors des passes. Mais il sont soumis à d'énormes tiraillements intérieurs.»
A l'opposé, l'auteur cite le cas de Manuel, un jeune gay suisse de 20 ans qui vit chez ses parents. Des études interrompues, pas de boulot: il tapine à présent via les plateformes d'escort boys de sites de rencontre gay. «La première fois qu'il a gagné 300 fr. - pour 10 minutes - ç'a été le déclic. L'appât du gain est si fort qu'il ne veut plus chercher un apprentissage. D'après moi, le jeune ne sait pas où cela va le mener.»
«Männer kaufen. Unterwegs mit Strichern und Kunden in Zürich», par Olivier Demont, Salis-Verlag, 200 p.
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