L’histoire, autant masculine que féminine, de quelques grammes de séduction.
Fichier(s) joint(s) :
bas.jpeg [ 34.96 Kio | Vu 798 fois ]
Coton finement brodé, 1915. - Collection Jean Feixas.
«La porte s’ouvre, et, vêtue seulement de ses bas, celle que j’ai choisie s’avance minaudière», écrit Louis Aragon dans le Paysan de Paris, en 1926. Là, tout s’arrête. Difficile de continuer à réfléchir tant l’on est subjugué. Dans le beau livre
le Bas, Jean Feixas (1) revient sur notre fascination pour ce petit bout de vêtement, objet de multiples désirs. «Elle n’était pas entièrement nue, mais c’était pis ! Elle était bien plus révoltamment indécente que si elle eût été franchement nue», s’effraie ainsi un jour faussement Jules Barbey d’Aurevilly. Déjà auteur de l’Histoire de la fessée chez le même éditeur Jean-Claude Gawsewitch, Jean Feixas, ancien commissaire à la brigade des mœurs, parsème son récit d’une multitude d’anecdotes, citations d’écrivains, photos, peintures, extraits de films ou d’affiches publicitaires aguichantes.
Vert. Longtemps, le bas est autant une histoire masculine que féminine. Henri II, aux noces de sa fille, aurait mis les premiers en «soye». Henri III avait une passion du vert qui poussa toute la cour à l’imiter. Comme l’objet est alors unisexe, il est apprécié des fétichistes. «J’ai connu force gentilshommes qui, avant de porter leurs bas de soie, priaient les dames et maîtresses de les essayer et de les mettre avant eux quelque huit ou dix jours», raconte, au XVIe siècle, l’écrivain Brantôme dans Vie des dames galantes. «Il les portait ensuite avec une grande vénération et en éprouvaient un grand contentement du corps et de l’esprit», continue-t-il. Mais petit à petit, les hommes le délaissent. Parler du bas, de son attrait, de ses formes et de son pouvoir sexuel devient pour eux surtout un moyen d’encenser le corps de la femme et sa puissance érotique.
«Rodolphe, marchant derrière elle, contemplait entre le drap noir et la bottine noire la délicatesse de son bas blanc, qui lui semblait quelque chose de sa nudité», décrit Gustave Flaubert dans Madame Bovary, en 1857. «Une étrange fille au visage dormant et dont les bas noirs faisaient ressortir la blancheur émouvante des jambes», ajoute Marcel Mouloudji, dans Un garçon sans importance, en 1971. Mais là où se niche l’érotisme, la morale, voire les préjugés de classe, ne sont jamais loin. «Et pendant qu’elle levait la jambe toute droite et que l’on voyait, un instant, à la hauteur des têtes, une pointe de bottine recourbée et un bas de mollet dans un bas rose, son danseur endiablé faisait apparaître, en un cancan forcené, toute la crapulerie de la plèbe du XIXe siècle», racontent les frères Goncourt dans leur Journal, en 1863. Si l’on veut être respecté, il ne faut surtout pas porter n’importe quoi. «Quant aux bas multicolores, ou relevés de dessins et de paillettes, une femme de goût les laissera aux manolas, almées et gitanes qui ont au moins l’excuse de costumes à l’unisson», affirme Gabriel Prévost dans le Nu, le Vêtement, la Parure chez l’homme et chez la femme en 1883. Il n’en faut pas beaucoup plus pour que les législateurs viennent donner leur avis. Dans les années 30, la mode est d’en porter à la plage en Californie, mais pas de n’importe quelle manière. «Il ne devait pas révéler plus de 20 cm de chair entre son bord roulé et l’ourlet de la robe. La robe, elle-même, ne devait pas se situer à plus de 65 cm du sol. Des policiers spéciaux y veillaient, le mètre à la main», s’amuse Jean Feixas.
Après tout, ces forces de l’ordre cherchaient sans doute la puce, un terrible animal. «Cette petite friande qui se repaît de viande», comme l’appelle Olivier de Magny au XVIe siècle, fut pendant longtemps particulièrement vorace contre les jambes des jeunes femmes. Ce prédateur avait tendance à remonter le long des cuisses et il fallait risquer sa vie, n’ayons pas peur des mots, pour aller le déloger d’un geste de la main. Le poète Pierre Motin demande à l’une de ses amantes de «l’autoriser à exercer sa cruauté dessus cette importune puce». Il lui propose ainsi de la «dépuceler». Pour Jean Feixas, «notons le bon sens des insectes qui ne s’en prirent qu’aux jolies femmes et jamais aux hommes, peut-être parce que les femmes ont meilleur goût».
Envolée. Reste une question encore irrésolue. Faut-il enlever les bas ou les garder pendant l’amour ? Dans l’enquête sur les Femmes, la Pornographie, l’Erotisme (1978), l’une des femmes questionnées, Juliette, se souvient : «Un type m’avait demandé de garder mes bas. Ça m’avait paru d’un ridicule !» Mais, «par la suite, je me suis aperçue que d’autres étaient comme lui, sensibles aux porte-jarretelles noirs, aux jolis dessous». Pour Jean Feixas, si l’on décide de les ôter, la manière compte et surtout l’envolée finale. Citant le Guide du strip-tease chez soi, de Libby Jones, il ne faut «surtout pas lâcher le bas : il ferait un ignoble bourrelet sur la cheville». Le mieux est de «retenir avec les orteils le bout de ce bas et de tirer. Balancez l’objet toujours tendu, balancez la main ! Balancez le pied, souriez, puis dégagez le pied et laissez tomber». Simple, non ?
(1) 240 pages, 500 illustrations, 39 euros, Jean-Claude Gawsewitch éditions