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Les transsexuels péruviens ont inventé une nouvelle langue
Un court métrage sur le «loxoro», langage crypté utilisé par cette minorité, a été récompensé par un prix à la Berlinale.
Un curieux langage crypté, résonant de nuit dans quelques rues chaudes de Lima, a redonné une visibilité à une minorité paria, presque sans existence. Le "loxoro", inventé par les transsexuels, s'est offert un prix à la récente Berlinale.
Claudia Llosa, cinéaste péruvienne déjà primée en 2009 (Ours d'Or) à Berlin pour "Fausta", sur le non-dit des violences sexuelles lors du conflit interne de 1980-2000, a exploré un autre silence: celui qui entoure les travestis du Pérou.
Son court métrage a reçu le mois dernier à Berlin le "Teddy Award" de la catégorie des films à thématique homosexuelle, et donné à ses acteurs une publicité inédite au Pérou catholique et conservateur, où l'homosexualité et la transsexualité sont entourées d'un grand tabou.
"Loxoro" raconte la quête de Makuti (Belissa Andia), quinquagénaire qui recherche dans les bars et boîtes de nuits de Lima sa fille adoptive disparue, Mia (Ariana Wesember, 19 ans), comme elle transsexuelle, en compagnie de son autre fille "La Pozo" (Pilar Gonzalez, 24 ans).
Dans le film retentit le loxoro, qu'on peut assimiler au "javanais", argot conventionnel issu de la langue française qui consiste à intercaler dans les mots des syllabes. Dans le cas du loxoro, les mots sont décomposés en syllabes, avec l'ajout d'un suffixe variable, "xara", "xoro", "xiri", "xuru", etc.
En loxoro, Claudio Llosa se dit par exemple "Clauxara diaxara Lloxoro saxara", dans une déformation assez simple somme toute, mais incompréhensible pour une oreille non habituée, a fortiori lorsque parlé rapidement.
"Face à la barrière que dresse la société pour nous occulter, pour nous nier le droit à un travail par exemple, nous aussi avons dressé une frontière, le loxoro, qui nous protège et affirme notre identité", explique à l'AFP Belissa, selon laquelle environ 500 personnes sont familières de ce dialecte.
Un langage presque secret
"Claudia Llosa nous a permis de fissurer le mur de la discrimination, d'ouvrir une fenêtre pour nous positionner, revendiquer nos droits, présenter une réalité invitant au dialogue, à la réflexion", poursuit-elle.
De Barcelone où elle vit, Claudia Llosa a aussi expliqué lors de la présentation du film avoir été fascinée par le loxoro, "langage vivant, qui décompose et crypte les mots, et connaît une mutation constante, incorporant des mots nouveaux et changeant avec les générations".
Ainsi les jeunes ont incorporé de nouveaux suffixes, "kuti", "ipi", "apa", comme des verrous rendant le loxoro de plus en plus fermé à qui ne suit pas de près la communauté transsexuelle ou travestie.
Enhardies par le film et le succès à Berlin, Belissa et Pilar projettent avec l'aide de linguistes de rédiger un dictionnaire du loxoro.
La crainte qui entoure le sort de Mia dans le film, résonne comme la peur des attaques et des passages à tabac que subissent souvent les travestis et les homosexuels au Pérou.
La Commission vérité et réconciliation de 2003 sur le conflit interne a établi que des travestis et homosexuels furent visés par des assassinats des guérillas de gauche, notamment huit personnes en 1989 dans un bar de Tarapoto (nord-est).
Le Mouvement révolutionnaire Tupac Amaru (MRTA, guévariste) revendiqua le massacre contre ces "fléaux sociaux, utilisés (par les forces de l'ordre) pour corrompre la jeunesse".
Le Mouvement homosexuel de Lima (MHOL) estime que ce sont environ "500 homosexuels et transsexuels qui furent tués par les guérillas du MRTA et du Sentier lumineux pendant le conflit", qui fit 69.000 morts ou disparus.
(AFP)
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