«Au lieu d’aider les femmes à gérer leur malaise en leur apprenant ce que c’est que le corps humain, notre culture propose la chirurgie correctrice comme seule solution», s’offusque Johanna Gohmann, la journaliste de Bust qui compare le scalpel médical à un couteau de boucher. «On se demande pourquoi les femmes qui s’indignent des pratiques barbares en Afrique et militent contre l’excision sont aussi celles qui seraient prêtes à choisir la nymphoplastie».
Belle toute nue: quand la chirurgie esthétique promet le sexe parfait
De plus en plus de femmes sont prêtes à avoir recours au bistouri à la recherche de ce qu'elles pensent être «le vagin parfait», dans une violente dictature de la beauté dont elles sortent forcément perdantes.
- L'Origine du Monde, par Gustave Courbet. via wikimedia commons -
Aucune partie de notre corps ne semble être épargnée par les diktats de l’apparence. Après le ventre à liposucer, le nez à raboter ou les seins à regonfler, les «sex designers» s’attaquent désormais à un terrain jusque là épargné par les normes esthétiques: le sexe féminin.
Alors que la chirurgie génitale se cantonnait jusqu’à quelques années à de la reconstruction (recréer un hymen, ou rétrécir un vagin distendu après un accouchement), elle s’attaque désormais au créneau très porteur de l’esthétique. L’opération qui connaît ainsi la plus forte croissance exponentielle, la labioplastie, consiste à diminuer la taille des petites lèvres et à améliorer l’apparence des organes génitaux.
D’après l’«American Society for Aesthetic Plastic Surgery», les femmes américaines ont ainsi dépensé 6,8 millions de dollars en 2009 pour ce type d’opération. Le phénomène ne se limite pas au territoire américain puisqu’au Royaume Uni le nombre de labioplasties a augmenté de 70% en 2008.
Cette année, sur les 5.000 demandes de chirurgies plastiques reçues par le «Harley Medical Group», 65% d’entre elles concernait une réduction des lèvres. Un business florissant puisque ce type d’intervention, relativement rapide, rapporterait 5.000 dollars nets au praticien.
Au-delà des motifs purement médicaux pour lesquels la labioplastie est naturellement indiquée (gêne pour faire du vélo ou porter des vêtements serrés), ce sont essentiellement des raisons esthétiques qui motivent les femmes à pousser la porte d’un chirurgien esthétique.
Dans un article du British Medical Journal de mai 2007, le psychologue Lih Mei Liao et la gynécologue Sara M. Creighton résumaient ainsi les demandes des patientes:
«Elles veulent que leur vulve soit plate, sans aucune protrusion en dehors des grandes lèvres ... certaines femmes ont apporté pour illustrer l'apparence souhaitée, des images provenant habituellement de photographies publicitaires ou pornographiques, qui peuvent avoir été retouchées par un procédé numérique.»
Lisse, pré pubère voire enfantin, voilà le canon de la beauté de l’origine du monde, version 2011. Un chirurgien californien a même baptisé «Barbie» le type de rendu souhaité par la plupart de ses patientes: des lèvres ressemblant à un coquillage, doux et immaculé.
L’industrie du porno, largement démocratisée ces dernières années, a grandement contribué à ériger des normes plastiques très marquées: seins protubérants, corps intégralement épilés et sexes pré pubères.
Contrairement à une idée reçue, le public type d’un film X ne se cantonne plus à l’ado boutonneux ou au célibataire frustré: d’après une récente étude IFOP 83% des femmes ont déjà vu un film X (dont 41% en intégralité ou presque), et 29% se sont déclarées consommatrices occasionnelles ou régulières. L’industrie porno est ainsi devenue prescriptrice d’une norme plastique, au même titre que la presse féminine ou la publicité.
Autre victime collatérale du film X: le poil, qu’il faut éradiquer à tout prix pour des raisons à la fois hygiénistes et esthétiques. Les esthéticiennes confirment la tendance : les ¾ des clientes demandeuses de ce type de prestations sont âgées de 18 à 25 ans, signe d’un véritable changement de mentalité.
La démocratisation de l’épilation intégrale rend donc les sexes plus visibles et les soumettent, de fait, à des diktats esthétiques jusque là inexistants.
Le caractère mystérieux et tabou du sexe féminin a largement concouru, lui aussi, à questionner les femmes. Le flou qui entoure le sexe féminin est ainsi le terreau à toutes les interprétations ou culpabilisations.
Dans son documentaire The perfect vagina, Lisa Rogers remet les pendules à l’heure en se plongeant dans un manuel d’anatomie: «Qu'est-ce qu'une vulve normale?», s'interroge-t-elle.
Elle découvre que «la longueur des petites lèvres peut varier de 20 à 100 millimètres… Une fourchette de 2 à 10 centimètres, c'est énorme! Et malheureusement personne ne nous a prévenues».
Dans ce documentaire, on aperçoit également le travail de l’artiste Jamie McCartney et son insolite «Great wall of vaginas», un mur de 9 mètres de long composé du moulage de 400 vulves. Elle explique:
«Pour beaucoup de femmes, l’apparence de leur sexe est une source d’anxiété. J’étais dans une position unique pour faire quelque chose à ce sujet.»
Avec cette sculpture, l’artiste espère combattre à sa manière l’augmentation exponentielle de la labioplastie. Selon elle, cette tendance inquiétante à vouloir créer le «vagin parfait» serait l’équivalent occidental des mutilations génitales pratiquées dans d’autres régions du globe.
Le Dr Anne-Thérèse Vlastos, médecin adjoint au Service de gynécologie des Hôpitaux universitaires de Genève, va dans le sens de ces propos:
«Pour les femmes qui ont un vrai problème, la labioplastie représente un progrès bénéfique. Pour les autres, c’est une mutilation incompréhensible.»
Cette quête de la beauté dans les recoins les plus intimes de l’apparence est terrifiante car elle place de facto la femme dans une position d’échec. La société, les médias, le porno scandent tous le même message subliminal à l’unisson: le corps féminin doit être transformé, mis en valeur pour être acceptable.
Cette dictature de la beauté est d’autant plus violente que sa norme est unique et inaccessible: en Occident, les organes génitaux féminins externes ont systématiquement été censurés, des arts figuratifs au magazine Playboy.
Photoshopées, maquillées, les vulves rendues «décentes» véhiculent ainsi une fausse idée de la normalité. Et transmettent un message sous-jacent d’une extrême violence: pour être attirantes, les femmes doivent renoncer à leur animalité, à leur statut d’adulte en se conformant aux canons de la beauté sexuée. Un sexe imberbe, sans rien qui dépasse, rosé et enfantin.
Notre société, prétendument libérée sexuellement, érige en réalité des modèles calqués sur le désir masculin et son imagerie, à la manière des pires dictatures.
Sous forme de propagande déguisée elle valorise à la fois l’hyper sexualisation des jeunes filles (soutien-gorge et strings taille 8 ans, cosmétiques pour enfants) et l’infantilisation des femmes (épilation intégrale, sexe lisse à la manière d’une poupée Barbie).
Un matraquage en règle de l’estime de soi savamment distillé par la presse féminine. Alors que le magazine Elle enjoint les femmes à devenir des adeptes de l’épilation intégrale, un récent dossier sexo de Biba propose à ses lectrices «7 positions anti complexes, parce qu’au lit, ce qu’on veut, c’est ne plus y penser». Ou comment transformer un moment d’abandon en une check-list de ses défauts.
De ce formatage des corps découle indirectement un formatage des esprits, car dans le domaine de la sexualité l’un et l’autre sont indissociables et intimement liés.
Comment lâcher prise si nos pensées s’attardent constamment sur un bourrelet ou un sexe «imparfait»? Comment supporter la comparaison avec des images subliminales de plastiques siliconées, épilées, maquillées?
Une image de soi défaillante qui peut avoir de lourds retentissements sur le désir sexuel: la psychologue américaine Cindy Meston a ainsi démontré que le degré d’excitation ressenti par des étudiantes lors du visionnage de films érotiques était directement lié à l’image qu’elles avaient de leur propre corps.
Ce n’est donc pas le corps réel mais le corps ressenti, imaginé, qui conditionne le désir sexuel. D’où l’importance de ne pas ériger des normes irréalistes.
Loin d’être une opération anodine, la labioplastie questionne la façon dont les médias, la pression sociale et la publicité conditionnent les femmes, dans les recoins les plus intimes de leur apparence.
Une quête de la beauté qui ne semble plus être l’apanage d’un sexe: l’Académie de chirurgie a ainsi publié récemment les résultats d’une étude sur les mensurations moyennes du sexe masculin par souci médical.
Nourries par ce que les médecins appellent le «syndrome du vestiaire», les demandes de chirurgie esthétique masculine intime se multiplient alors que 85% des demandes émanent d’hommes dont l’anatomie les situe dans la moyenne.
Les «sex designers» ont encore de beaux jours devant eux. Les psys aussi.
Sophie Rouiller