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Le pape du X Art et essai s'est éteint le 1er décembre. Il avait 90 ans.
Le sexe est la chose la plus commune du monde, mais les films que José Bénazéraf lui a consacré sont d’une originalité incontestable. Dès son premier essai, « Le Quatrième Sexe », en 1961, on pouvait avoir le sentiment que personne n’avait encore filmé de cette manière. « L’Eternité pour nous », l’année suivante renforçait cette impression. C’était en principe des films érotiques, mais leur style, leur photo, la lenteur solennelle de leur rythme, leurs cadrages d’une largeur souvent insolite en faisaient les oeuvres d’un seul homme. Le film pour adultes avait trouvé son auteur et, considérant que Bénazéraf avait surgi en même temps que Truffaut, Chabrol, Rohmer et que son cinéma pouvait passer pour le volet sexuel de la Nouvelle Vague, on le qualifia de « Godard du porno », surnom qu’il accepta avec sérénité.
Or, de même que la pensée, en art, sert parfois de cache-sexe, le sexe était souvent chez lui une sorte de cache-pensée. L’auteur de « Joé Caligula », son meilleur film, interprété par Gérard Blain et qui aurait pu lui valoir aussi le surnom de « Corman français », soulevait dans ses films des questions philosophiques qui lui vaudraient aujourd’hui de passer sur Arte. Cet ancien producteur, qui, venant du Maroc, avait d’abord étudié à Science Po, était en réalité un fou de cinéma, et les scènes érotiques dont il parsemait (assez chichement d’ailleurs) ses œuvres d’alors, n’était qu’un moyen d’acquérir une indépendance financière. Elles l’exposaient, en revanche, aux ciseaux de la censure, et, boycotté par les diffuseurs officiels, Bénazéraf trouva un jour le soutien du théâtre, et projeta dans les prestigieuses salles de la Renaissance et du Vieux Colombier un film au titre nettement ambitieux : « Le Désirable et le sublime ».
Est-ce une fable sur les dangers du système ? Alors que sa filmographie prenait corps et que ses audaces commençaient à être acceptées dans un monde aux idées plus larges, la légalisation du porno lui tendit un piège dans lequel il tomba trop vite. Après une cinquantaine de films personnels, Bénazéraf plongea dans la vidéo X, tournant à la va vite à peu près autant d’ouvrages qui n’atteignirent que le public spécialisé. Mais peut-être s’agit-il là d’un trésor méconnu, d’un enfer dont les beautés restent à découvrir, et qui fera passer la mémoire de Bénazéraf de Jean-Luc Godard à Donatien de Sade.
On peut découvrir l’œuvre filmée de José Bénazéraf à travers le « Dictionnaire des films français pronographiques et érotiques 16 et 35 mm » de Christophe Bier (Serious Publishing 2011)
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