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Avec Xanadu, la politique d’Arte en matière de séries marque un tournant : il s’agit en effet de la première œuvre dramatique véritablement ambitieuse de la chaîne (après ses comédies plutôt légères Les Invincibles, Fortunes & Vénus et Apollon). Ambitieuse à l’échelle des séries françaises, évidemment, mais aussi ambitieuse à l’échelle du monde. Quand vous l’aurez vue, il vous sera certainement très difficile d’identifier une seule série déjà existante qui lui ressemble. Elle semble inventer une narration et un format qui lui est propre. Mais cela ne l’empêche pas pour autant d’être truffée de défauts.
Xanadu pourrait être le pendant de Hard (Canal+) dont la saison 2 était également diffusée en avant-première au festival Séries Mania : toutes deux créées et écrites par une femme (Séverine Bosschem pour la première, Cathy Verney pour la seconde), ces deux séries nous plongent dans le milieu de la production pornographique à la française. Les deux compagnies familiales font toutes deux référence à la maison Dorcel et à ses « productions de qualité », par opposition au gonzo qui pullule désormais sur le net. On découvre également dans les deux œuvres l’univers du porno par les yeux (presque) neufs d’une femme : la fille prodigue dans Xanadu, la veuve dans Hard.
Les comparaisons s’arrêtent là : alors que Hard se rapproche clairement des comédies névrosées type Desperate Housewives ou Weeds, Xanadu est une tragédie, une fresque dramatique, dont les rares moments de comédie sont toujours empreints d’une certaine forme de désespoir (le personnage du hardeur Brendon Hard On en est le parfait exemple).
Xanadu est avant tout l’histoire d’une dynastie du porno, un jeu des sept familles en plus dénudé. Je demande d’abord le père, Alex Valadine, vraie figure de patriarche aux cheveux blancs et aux allures dominatrices, qui n’arrive pas à lâcher les rênes de l’entreprise familiale. Ensuite, les enfants : Laurent, le fils aîné, Sarah, la fille revenue du Québec pour des raisons obscures et enfin Lapo, le fils cadet, réalisateur « expérimental » et tout aussi barré que ses films.
Enfin, la dernière carte, celle de la mère, Elise Jess, égérie de la maison, disparue voilà il y a presque vingt ans, dont on n’a jamais retrouvé le corps mais dont la présence-absence hante le pré-générique de chacun des huit épisodes, via des « images d’archives » qui font leur petit effet.
Le tout n'est bien sûr pas exempt de faiblesse. Ainsi, le grand nombre de personnages – s’ajoutent à la famille flic, réalisateur, nouvelle égérie - donne la désagréable impression qu’ils sont là avant tout étoffer une intrigue principale somme toute assez faible : qu’est-il vraiment arrivé à la mère ?
Ce que les scénaristes n’avaient sans doute pas prévu, c’est que l’on se fiche pas mal de la réponse à cette question. Ce qui nous intéresse ici, ce sont les jeux de pouvoir et de séduction qui régissent tout ce petit monde.
Xanadu est une série difficile à appréhender. Certaines des intrigues secondaires ne brillent pas toutes par leur clarté. Des personnages se ressemblent, d’autres disparaissent en moins de temps qu’une pause toilettes.
Il est aisé de résumer en une phrase le contexte de la série (une dynastie dans le monde du porno), mais si on se contente de cela, on oublie l’essentiel, ses acteurs, son atmosphère.
Et en premier lieu, une réalisation marquante, aux effets visibles et assumés, fait rare à la télévision française jusqu’ici (et qu’on retrouve en ce moment dans Signature, sur France 2) – même si certains esprits chagrins trouveront à redire sur l’utilisation parfois un peu systématique et forcée de certains effets, notamment les flous en début de séquence.
Le montage en particulier est assez remarquable, mêlant dans le même niveau de narration présent, flash-back et futur, non pas à la Lost (n’exagérons rien) mais par un entrelacement de scènes parallèles en lieu et place d’une succession purement linéaire.
C'est une série à la fois sensuelle, charnelle (oui on voit des seins, et même des pénis en érection, néanmoins floutés par la chaine) mais aussi terriblement froide et même glacée : autant de mort et de violence qu'il n'y a de sexe et d'amour.
Une illustration d'Eros et Thanatos certes un peu forcée, mais qui fonctionne. Ce côté glauque et morbide, voire même surréaliste dès le deuxième épisode, est à nouveau très bien rendu par la direction artistique de la série (assuré par Podz ainsi que dans l’interprétation de ses acteurs – en premier lieu Julien Boisselier et Swann Arlaud, qui incarne à la perfection les deux fils imparfaits de cette famille dysfonctionnelle.
Xanadu est une série dérangeante et dérangée, comme encore jamais vue a la télévision française. Même Canal+ peut aller se rhabiller, avec ses « créations originales » restant finalement confinées dans un certain moule (a l'exception sans doute de Pigalle la nuit). Nul doute qu’elle fera date dans l’histoire de la chaine, voire même dans celle de la fiction française. Nul doute non plus qu’elle ne fera pas l’unanimité, mais son parti pris radical signe l’apparition d’un véritable ovni télévisuel, qui a toute sa place sur Arte.
A voir sur Arte tous les samedis à partir de 22h25 du 30 avril au 21 mai
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épisode 1 sur allociné (disponible qu'entre 23h et 5h du matin)