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«La BD a commencé avec le cul, elle finira avec» Recueilli par Quentin Girard
Bastien Vives, auteur primé pour «Polina», s'est laissé aller l'an dernier dans «les Melons de la colère». A paraître ce mercredi, «la Famille», où les sous-entendus sexuels sont constants.
Découvert par le grand public avec l'album Polina, Bastien Vivès, 28 ans, enchaîne les ouvrages. En novembre est sorti les Melons de la colère chez les Requins Marteaux, et depuis, le Jeu vidéo suivi chez Shampooing (Delcourt), début 2012. A venir, mercredi 7 mars: la Famille, également chez Shampooing.
Si les Melons de la colère est explicitement pornographique, les références sexuelles dans les deux autres albums sont également constantes. Logique pour Bastien Vivès, qui a du mal à imaginer de la BD sans érotisme ni humour.
Une BD sans cul est-elle possible ?
Sans cul, c'est possible, sans érotisme, c'est vraiment dur. Si on fait du dessin, il faut que cela reste séduisant, mais c'est la même chose dans le cinéma. Je préfère les films qui suscitent du rêve. Et le cul, il n'y a rien de tel pour susciter l'imagination. La bande dessinée a commencé avec le cul, elle finira avec le cul.
Quelles sont vos références érotiques en BD ?
J'aime beaucoup Corben, même si ce n'est pas du cul. Edika ou Serpieri aussi...
Qui vous a procuré vos premiers émois érotiques ?
Je pense que c'est Mademoiselle Chiffre du Petit Spirou. Et Dany, à mort. Mon père en avait un, on allait lui piquer tout le temps, comme des dingues. J'aurai toujours de l'affection pour lui, même s'il est très misogyne et vulgaire. Je crois que c'est l'enfant de 8 ans qui lui dit merci.
Pourquoi faire avec les Melons de la colère une parodie porno des Raisins de la colère de Steinbeck ?
Moi, les Raisins de la colère, je n'ai jamais lu, jamais vu. C'est Fred des Requins Marteaux qui a décidé d'appeler la BD comme ça, ils ont trouvé que c'était plus drôle que ma proposition, le Vent dans les meules. Je voulais faire une BD de cul. Depuis deux ans, je n'y arrivais pas, à trouver le support, le ton. Et, lorsque je découvre la collection BD cul des Requins, je trouve le ton super drôle, j'adore. Donc je fais une BD avec de l'humour dedans et une partie de mes fantasmes.
Quand on achète la BD, un bandeau autour explique que c'est réservé aux férus de porno extrême...
Oui, le bandeau parle de YouPorn alors que c'est un des pires sites. Xvidéos, c'est déjà mieux. Le plus souvent, je vais sur xHamster. Je suis super content d'avoir connu l'arrivée d'Internet et d'avoir connu le cul progressivement : à travers les BD, les magazines, le film sur Canal+, puis Internet. Alors qu'aujourd'hui pour les gamins, la découverte se fait en trois clics.
Vouliez-vous faire un catalogue de tags, un peu comme sur les sites pornos ? On retrouve «incest», «blowjob», «gang bang», «big tits»...
Complètement. Moi, j"utilise 5 ou 6 tags, ça me suffit largement, globalement tout ce qui est «big» ou «huge». J'aime quand les trucs sont grands et déformés, quand ce n'est plus monsieur et madame tout le monde. Cela reste de l'image et du fantasme, parce qu'après j'ai une sexualité super normale.
Les Melons de la colère est un album très hardcore et, pourtant, chez les libraires, c'est vendu devant la caisse. La BD est-elle un espace de liberté presque totale ?
Globalement, dans la BD et tant qu'il n'y a pas d'images animées, on peut faire ce qu'on veut. J'ai travaillé un peu dans le dessin animé, c'est super compliqué. Tout de suite, c'est : «Ah bah non, la forme de son bonnet ressemble à une bite» ou «Pas de rouge, c'est anxiogène pour les gosses». A la télé ou au cinéma, tu es bloqué. Sur Arte, ils ont fait un reportage sur les Melons de la colère et ils ont dû censurer toutes les cases. Alors que, dans une librairie, tu as 8 ans et tu peux acheter le bouquin.
Vous pensez qu'un gamin de 8 ans peut le lire ?
En festival, tu les vois, ils ouvrent la BD, ils font des grands yeux et ils la reposent, c'est drôle. Cela reste du dessin. Pour les gens, cela relève de l'imaginaire. Lorsque j'étais étudiant, j'étais tombé sur un manga pédophile japonais - il y en a beaucoup - mais dessiné incroyablement bien. Ce qui m'intéressait principalement, c'était le dessin, mais cela divisait. Après, si on commence à censurer, on ferme la moitié des musées.
Les blagues ou les sous-entendus pédophiles abondent dans vos albums, c'est pour provoquer ?
En général, je ne fais pas ça pour provoquer, je le fais à la base parce que cela me fait rire. Et puis, sincèrement, un enfant de 8 ans qui a une bite énorme et qui se fait masturber par sa grande soeur [qui a elle-même des seins disproportionnés dans les Melons de la colère, ndlr], je trouve ça marrant. Après, il faut savoir être honnête avec ses fantasmes, chacun ses délires.
Quelques internautes ont râlé sur les sites spécialisés à la sortie des Melons de la colère en disant «ouais, c'est de la pédophilie». Je pensais que le fait que cela soit dans la collection «BD cul» suffirait à ce que les gens comprennent que c'est drôle, mais pas du tout. Le problème, c'est que je pense que la première scène de cul arrive avant la première grosse blague. Le moment où je fais vraiment comprendre que c'est de l'humour arrive peut-être un peu trop tard.
A l'inverse, d'autres lecteurs s'attendaient à du gonzo, à une succession de scènes de cul, et ils ont été déçus. Je pense que c'est assez compliqué de se masturber sur cet album.
Dans un strip sur votre blog, vous expliquez que, pour vous, les fantasmes ne sont pas fait pour être réalisés...
Oui, j'ai déjà eu ce genre de discussions avec des filles et cela reste souvent des problèmes de vocabulaire. Derrière le mot fantasme je mets tel ou tel truc, mais la société peut mettre autre chose. Moi, je parle vraiment d'un imaginaire, et le quotidien des gens, il ne m'a jamais fait rêver.
Dans la Famille, il devait forcément y avoir une tension érotique ?
Pour la Famille, c'est sûr. Je n'ai pas de sœur, je rêve d'avoir une fille et de la voir grandir pour comprendre psychologiquement comment ça se passe. J'ai découvert les filles très tard. A 16 ans, à part mes cousines, je n'ai aucun souvenir d'avoir parlé à des filles. Elles m'ont toujours semblé très étranges.
Comment les lectrices ont pris les Melons de la colère ?
Je le vois en dédicace, elles sont très peu nombreuses. Après, c'est aussi parce que cela reste de la BD indépendante.
Plusieurs m'ont reproché que la fille ne prenait pas de plaisir dans le bouquin. Le plaisir féminin, tout le monde focalise dessus. Si on parle de sexualité avec des filles sans l'aborder, c'est foutu.
Vous sentez-vous légitime pour aborder la question du plaisir féminin ?
Non... je ne sais pas trop. Dans l'idée, je me dis que ce qui m'excite peut aussi exciter des gens, donc potentiellement des filles. Mais je ne me sens pas légitime pour parler des sexualités et des fantasmes des autres.
Quand le lecteur lit la Famille ou les Melons de la colère, ne pensez-vous pas qu'il relit de manière différente Polina ? Parce qu'on y retrouve les mêmes types de personnages...
Il y a des gens qui me suivent et, que je fasse n'importe quel album, ils achètent. Mais la grande majorité des gens n'en a rien à faire. Ils lisent Polina et ils trouvent ça bien, point. Ceux qui ont acheté les Melons de la Colère, c'est vraiment un peu particulier.
Pensez-vous réaliser d'autres BD de cul ?
Plus ça avance et plus je pense en faire, mais ce n'est pas vraiment la question. Si je prends Miyazaki, ce n'est jamais les mêmes films, mais il a un univers commun. Et c'est toujours du Miyazaki. J'aimerais bien plus tard qu'on se dise que «c'est du Vives», que la BD soit drôle ou sérieuse.
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