Trois bonnes nouvelles sur le front de la prostitution 27/06/2013
Pour la grande majorité des Français et des Françaises, qui pensent comme moi que la meilleure façon de diminuer les défauts dont le commerce du sexe souffre en France n'est pas la répression (sauf celle, évidemment, de toute forme de coercition), trois évènements importants ont eu lieu au cours de ces derniers mois, confirmant que le bon sens gagne progressivement du terrain :
23 mars - Le fer-de-lance des abolitionnistes le reconnaît enfin : La plus grande partie des prostituées ne sont pas des victimes.
Le 23 mars, un débat s'est tenu sur Radio France International (RFI) entre le secrétaire général du Mouvement du Nid et la secrétaire générale du Strass, le Syndicat des Travailleurs sexuels : alors que la pugnace Morgane Merteuil lui reprochait d'assimiler toutes les personnes qui se prostituent à des victimes, le plus ardent chantre de l'abolition de la prostitution, Grégoire Théry a répondu :
"Absolument pas. Nous ne disons pas que toutes les personnes sont contraintes à la prostitution ou qu'elles sont toutes victimes. D'ailleurs sur les 5000 personnes que nous rencontrons il n'y (en) a que 1500 qui nous demandent du soutien concret, et ce soutien concret, ce n'est pas forcément une aide pour quitter la prostitution. Donc ça veut bien dire que toutes les prostituées ne sont pas contraintes et forcées à la prostitution."
En quoi cette déclaration est-elle si importante ? Eh bien parce que le Mouvement du Nid, association initiée par un prêtre vers 1936, est dans notre pays le fer-de-lance du combat pour la disparition de toute forme de prostitution, et ce depuis fort longtemps : dès 1946, ce mouvement a eu une influence décisive dans la fermeture des maisons closes, qui avaient de grands défauts, c'est vrai, mais que l'on aurait mieux fait de chercher à corriger plutôt que de jeter à la rue les femmes qui y travaillaient, en prétendant leur rendre leur dignité. Et le porte-parole actuel du Mouvement du Nid, Grégoire Théry, un jeune homme dynamique doté d'une conviction à faire pâlir d'envie un témoin de Jéhovah, a tout fait depuis dix ans pour convaincre plus d'un(e) élu(e) que la prostitution était un fléau, que 90 % et plus des femmes qui s'y consacrent sont victimes de contrainte ou de traite. Et voilà qu'il conteste son propre dogme et reconnait que moins de trente pour cent des prostitué·e·s que son association rencontre sont des victimes de la traite !
Cette déclaration conforte bien les différences sources que j'ai eu l'occasion de citer dans mes tribunes sur Le HuffPost, en particulier le rapport de l'Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) qui affirme que les chiffres souvent proclamés sont très incertains, au mieux de grossières approximations, ne concernent qu'une petite partie de la prostitution (la rue) et ne peuvent être extrapolés aux autres formes que prend cette activité, escorts, salons, Internet, étudiants : la prostitution prend des visages si variés, dans la contrainte comme dans la liberté, qu'une "réponse unique" telle que le projet d'interdire l'achat de tout acte sexuel serait totalement injustifiée.
23 avril - La Ligue des Droits de l'Homme éclaire la Délégation aux Droits des Femmes
La deuxième bonne nouvelle c'est que justement que le même avis a été donné à la Délégation aux Droits des Femmes par la Ligue des Droits de l'Homme : Dans le cadre des auditions devant la commission sur la prostitution présidée par la députée PS Maud Olivier, on peut lire sur le site Internet de la présidente de la délégation, Catherine Coutelle, que le président de la Ligue des Droits de l'Homme, Pierre Tartarowsky a déclaré : Nous ne sommes pas plus partisans de légaliser que d'interdire : nous sommes partisans d'un processus d'éducation globale (...) Nous sommes profondément ancrés sur l'idée que le corps n'est pas une marchandise ; mais nous ne sommes pas non plus favorables à la pénalisation, qui serait une sorte de répression flattant l'idéal politique selon lequel la répression suffirait. » Sur les moyens d'action, le Président de la LDH a ajouté que "l'arsenal législatif est déjà extrêmement riche contre la prostitution et la traite" et qu'il préférerait voir "améliorés les moyens d'actions de l'Etat, dispersés administrativement et relevant de nombreux ministères, pour qu'ils aient une effectivité réelle".
Ce sont peut-être des déclarations comme celles ci-dessus qui conduisent progressivement la Commission, dans le projet de législation qu'elle entend voir débattre à l'Assemblée à l'automne, à viser à l'éducation plutôt qu'à la pénalisation : c'est ce que tous demandent. Je me permettrai pour ma part dans une prochaine tribune de revenir, à la lumière d'expériences réalisées dans d'autres pays et de réflexions de nombreux sociologues et chercheurs, sur ce que pourraient être - et ce que ne devraient pas être - les mesures "pédagogiques" qu'envisage le projet de loi.
21 juin - La Cour Suprême américaine au secours des prostituées
Enfin, c'est d'Amérique que nous vient la troisième bonne nouvelle : Le 23 juin, aux Etats-Unis s'est déroulé un évènement qu'attendaient depuis des années un bon nombre d'associations qui luttent contre l'épidémie de Sida.
Pour bien le comprendre, un petit rappel historique : en 2003, ayant été élu grâce aux voix des "fondamentalistes chrétiens" (prêtres, pasteurs, évangélistes télévisuels, qui ont un poids colossal aux Etats-Unis), le président Bush, pour les remercier, a institutionnalisé leurs thèses, en particulier une opposition fondamentale à la prostitution, ennemie de la famille chrétienne, et lancé une croisade mondiale contre le travail sexuel. Ayant à la même époque créé un fond colossal pour la lutte contre l'épidémie de Sida, le PEPFAR, il a exigé qu'un tiers des soixante milliards de dollars qu'il mettait en jeu soit consacré à... des programmes d'éducation des jeunes gens à l'abstinence sexuelle jusqu'au mariage, et décrété que le reste de cette fortune serait exclusivement réservé aux associations qui s'engageraient par écrit à combattre toute forme de prostitution : à l'époque, près de 200 ONG américaines ou internationales avaient, devant cette injustice, intenté un procès au gouvernement Bush, mais en vain ; le Brésil avait même refusé toute subvention américaine afin de pouvoir continuer sereinement à traiter son commerce du sexe, veillant avant tout à la protection des travailleurs et travailleuses du sexe.
C'est à la suite de cette restriction que de nombreuses associations américaines ou européennes, qui considéraient jusque là avec plus de pragmatisme le travail sexuel, sont devenues d'ardents partisans de l'abolition de la prostitution !
Et voilà que le 21 juin 2013, la Cour Suprême des Etats Unis d'Amérique a déclaré illégale cette façon d'influer sur les pratiques des associations de bienfaisance : "La Cour a jugé par 6 voix contre 2 que, dans le cadre d'un programme anti-Sida de milliards de dollars, le refus de subventionner les organisations qui ne s'opposaient pas de façon explicite à la prostitution violait leur liberté d'expression".
Dorénavant les associations n'auront plus besoin de souscrire à cet engagement et ne seront plus contraintes, si elles veulent être subventionnées par le gouvernement américain, à renoncer aux méthodes de "réduction des risques", telles que la distribution de préservatifs, le suivi médical des personnes qui se prostituent, etc., travail "de terrain" que font chez nous avec un immense dévouement des associations comme Cabiria, Grisélidis, IPPO, Médecins du Monde ou le Bus des Femmes. Leur travail n'est il pas plus juste que celui des mouvements qui, au nom d'une idéologie irréaliste, consacrent l'essentiel de leur énergie et de leur financement à entretenir des paniques morales ?
Vous trouverez plus d'informations sur ce sujet sur le blog
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En France, à la suite d'une longue campagne abolitionniste, la loi du 13 avril 1946 a ordonné la fermeture des maisons de tolérance (...) Cependant la prostitution n'en continue pas moins à s'exercer. Ce n'est évidemment pas par des mesures négatives et hypocrites qu'on peut modifier la situation. Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe 1, deuxième partie, V.
Naviguez assez vite pour atteindre votre but, mais assez lentement pour avoir le temps de voir. La modération semble être la clé. Jimmy Buffett, Barometer Soup.
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Ce sont peut-être des déclarations comme celles ci-dessus qui conduisent progressivement la Commission, dans le projet de législation qu'elle entend voir débattre à l'Assemblée à l'automne, à viser à l'éducation plutôt qu'à la pénalisation : c'est ce que tous demandent. Je me permettrai pour ma part dans une prochaine tribune de revenir, à la lumière d'expériences réalisées dans d'autres pays et de réflexions de nombreux sociologues et chercheurs, sur ce que pourraient être - et ce que ne devraient pas être - les mesures