Le selfie érotique
Le selfie érotique est une photo torride (ou une courte vidéo) qu'un fille prend et envoie à son chéri par smartphone.
C'est la grande (et la seule) nouveauté érotique de ces dernières décennies. Pour la première fois, il existe un mode d'exhibitionnisme pratiqué spontanément par les filles, et totalement contrôlé par elles. Il n'y a pas de pression masculine, pas d'intervention masculine, en dehors du simple rôle de spectateur.
Cela plait aux filles. Contrairement à ce qui se passe dans une vidéo faite par votre chéri, vous êtes sûre d'être à votre avantage. Vous contrôlez le cadrage, la lumière, votre expression. Il y a des tas de filtres automatiques pour corriger le teint etc. Vous avez tout le temps de vous préparer et de choisir votre tenue, du moins pour les photos où vous portez quelque chose.
Le selfie érotique n'est pas seulement un jeu marginal due à un accident technologique. C'est une nouvelle culture de l'exhibitionnisme qui façonne l'érotisme de toute une génération. Cela concerne grosso modo la plupart des filles de moins de 25 ans et pas mal de jeunes trentenaires qui ont pris le train en marche. Les moins de 25 ans ont vécu toute leur vie avec un téléphone portable. C'est une extension incontournable de leur vie relationnelle. Dans la culture du selfie, les filles se voient différemment et se font font désirer différemment.
Révolution technique
Il a fallu pas moins 4 innovations techniques pour rendre possible cette révolution des moeurs féminines. Les 4 étaient indispensables :
1 – à partir des années 2000, les appareils photos numériques. Parce qu'aucune fille ne peut déposer ce genre de clichés dans un magasin photo pour qu'ils les développent
2 – à partir du milieu des années 2000, les téléphones qui font appareil photo. Parce qu'il faut l'avoir sous la main quand on est excitée dans son lit à une heure du matin. On a toujours son téléphone avec soi. Un appareil photo, c'est peu probable.
3 – les smartphones, parce qu'on veut que notre chéri reçoive la photo de suite. Le smartphone est connecté au net. On ne passera pas une heure à charger la photo d'un appareil photo au PC puis à l'envoyer par mail en espérant que notre chéri vérifiera ses mails rapidement. Autant l'envoyer par pigeon voyageur. Avec un smartphone, on est sûre qu'il la reçoit sur son téléphone et instantanément.
4 - snapchat. Avec snapchat, on est certaine que la photo disparaît aprés 10 secondes (ou la durée de son choix). Zéro inquiétude. Vous êtes sûre que vos petites audaces ne laisseront aucune trace compromettante.
Les étapes du selfie érotique
Entre le milieu de l'adolescence et la vingtaine, on passe par plusieurs types de selfies érotiques. L'influence et l'exemple des copines est souvent le déclic pour passer à l'étape suivante. “Si tout le monde le fait, pourquoi je ne le ferais pas ?” Pour faire simple, je ne parlerai que de six de ces étapes.
En petite tenue
C'est le premier selfie érotique. On l'envoie quand on est ado et amoureuse d'un garçon du lycée. Le selfie érotique peut être fait devant un miroir ou en posant le téléphone à quelques mètres de vous. Il est précédé d'une frénétique séance d'essayages. Tout y passe, même les petites culottes de votre soeur cadette avec les motifs de licorne.
Le boob selfie
Très pratique, il peut être fait n'importe où. Il suffit de tirer sur son pull et hop c'est envoyé. L'audace et l'effet de surprise compensent le manque de qualités artistiques. À ne pas envoyer à votre chéri quand il conduit.
Presque nue
Le plus souvent face au miroir de la chambre ou de la salle de bain, parce que c'est plus esthétique. En prime, la salle de bain permet un moment d'intimité. Votre mère/soeur/coloc ne risque pas de vous surprendre.
Scarlettjohanssoning
nommé d'après l'actrice qui en avait fait un largement diffusé sur le net. C'est le selfie érotique dans le miroir de la salle de bain, avec à la fois votre visage et votre dos sur la photo.
Le Scarlettjohanssoning est comme les statistiques : il cache l'essentiel mais donne des idées. Il existe des parodies de cette photo avec un chien, un hamster et des tas d'autres créatures aussi sexy.
avec une copine
On sait très bien ce que notre chéri voudrait nous voir faire. C'est le grand classique des fantasmes masculins. Ça n'arrivera jamais. Mais on peut faire un fake convaincant. Dans une pose, c'est facile de faire parfaitement illusion. La première fois, c'est aussi l'occasion d'une belle tranche de rigolade avec votre meilleure amie. Ça fait partie du charme. Il n'y a pas d'ambiguité sous-jacente. On fait ça juste pour la photo et on se marre beaucoup entre deux clichés. C'est comme jouer une pièce de théatre, mais avec nettement moins de vêtements.
Les vidéos
On se filme avec son téléphone. Soit en le tenant, soit en le posant sur la table de chevet, une étagère etc..
Ça donne quelque chose de ce genre (
Exemple 1 ) ou de ce genre (
Exemple 2 ).
Un phénomène de génération
Le selfie érotique est une mode de ma génération (1). Bien sûr, rien n'interdit à une femme de 45 ans de faire pareil. Un petit pourcentage le fait. Les sites permettant de s'exhiber en ligne, photos, vidéos, webcams, accueillent déjà des milliers de quadragénaires en quête de sensations. Depuis toujours, l'exhibitionnisme a ses clubs, ses magazines spécialisés etc. Mais quand ces femmes avaient 15 ans, les smartphones n'existaient. Snapchat n'existait pas. À moins de porter un masque, elles n'avaient aucun moyen de s'exhiber sans risque. C'est un jeu auquel elles sont venues plus tard, dans les rares cas où elles y viennent un jour. Pour ma mère par exemple, c'est inconcevable. Déjà, elle se trouve grosse, pas question qu'on la prenne en photo en petite tenue. Ensuite elle ne voit pas l'intérêt.
Les filles d'aujourd'hui ne se posent même pas la question. C'est une donnée. Ça fait partie du kit de base d'une relation, au même titre que faire l'amour. Quand on a un petit ami, c'est un truc auquel on pense. D'autant plus que ça peut être fait à n'importe quel moment et depuis n'importe où. Un manège de fête foraine, une cabine d'essayage ..
Une autre chose qui différencie cette génération des précédentes, c'est le plaisir procuré par le rituel du selfie érotique. Il y a bien sûr le plaisir d'exciter son petit ami. Ça, les femmes de tout âge le comprenne. C'est amusant de voir son chéri grimper aux rideaux. Mais il y a un autre plaisir, qui est indépendant du destinataire. Les selfie érotiques permettent une variante visuelle de sexting. Vous envoyez un selfie érotique à votre chéri et il vous répond par un selfie du même tonneau. La tension monte rapidement. Après une demi douzaine d'échanges, votre main se retrouve en train de s'activer frénétiquement entre vos jambes. Parfait, c'était un peu le but. Mais ce qui se passe est plus complexe qu'il n'y parait.
On sait toutes qu'un essayage de dessous sexy, quelques heures avant un rendez-vous amoureux, peut être terriblement excitant. Mais ce n'est rien à côté des préparatifs d'un selfie érotique. Très vite, vos selfies érotiques vous font plus d'effet que ceux de votre chéri. Au bout de quelques séances, vous finissez par vous masturber sur les photos de vous, plutôt que sur celles qu'il vous envoie. On pourra trouver ça narcissique et terriblement malsain. Mais le fait d'être réduite à un simple objet sexuel vous procure quelques moments d'excitation mémorables.
Cette démarche, se transformer soi-même en objet sexuel, a été étudiée en 2012 par Allen et Gervais (2). Ils appellent ça 'self-sexualisation'. On peut le traduire par auto-objectivation. Cela concerne à des degrés divers toute la génération selfie érotique. Parfois, pour attirer l'attention masculine, une fille déploie ses charmes de façon exacerbée. Elle se transforme consciemment en objet sexuel et elle aime ça. Mettre une mini jupe moulante, rouler des patins à une autre fille en boîte (3), réaliser des selfies olé olé, faire un strip-tease devant un amant. Des féministes doivent se retourner dans leurs tombes. Mais le plaisir d'être un object sexuel est-il si négatif ? On en retire une excitation indépendante du but initial de séduction. Cette excitation ne nécessite qu'une audience masculine symbolique. On peut être excitée seule en empruntant le regard par procuration d'un amant absent. C'est un érotisme qu'on explore sans hommes, même quand ils sont là. Cela rend les filles d'aujourd'hui plus autonomes, plus à même d'être la personne qui prend les décisions. Allen & Gervais voulaient répondre à la question suivante : l'auto-objectivation est-elle une nouvelle forme d'aliénation des femmes ? Ou au contraire un moyen pour elles de contrôler leur sexualité et de s'affirmer ? Ils n'ont pas pu répondre. La question est mal posée et leur a valu des réponses ambivalentes. Le fond de la question, l'évolution de la balance du pouvoir dans les couples, n'est pas abordé par leur étude. Ce qui est sûr, c'est que les réseaux sociaux (instagram, facebook, snapchat) sont un univers de séduction où la balance du pouvoir penche largement en faveur des filles. Leur exhibitionnisme participe à une prise de pouvoir dans le monde virtuel, et indirectement, dans le monde réel. La génération qui a grandi avec un iPad greffé dans la main ne fait pas une grande différence entre le réel et le virtuel.
(1) Un article qui explore l'impact culturel des selfies sur la génération actuelle
http://www.slate.com/articles/double_x/ ... pride.html" onclick="window.open(this.href);return false;
(2)
http://digitalcommons.unl.edu/dissertations/AAI3559213/" onclick="window.open(this.href);return false;
(3) une étudiante sur trois a embrassé une autre fille sur les lêvres, en boîte ou dans une soirée : Yost & McCarthy, 2012
http://pwq.sagepub.com/content/36/1/7.abstract" onclick="window.open(this.href);return false; La même chose est vraie pour les lycéennes, tout au moins à Paris.