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Le Point.fr - Publié le 24/07/2012 à 18:19
Slobodan Milosevic doit se retourner dans sa tombe. Il y a vingt ans, en Serbie, la transsexualité était considérée comme un acte affreux et immoral. Aujourd'hui, les gens viennent du monde entier dans ce pays pour des opérations de changement de sexe, désormais même subventionnées par l'assurance maladie nationale pour les contribuables serbes.
"Il est certes surprenant qu'un pays conservateur et patriarcal soit devenu un centre mondial pour de telles opérations, mais les attitudes sociales changent lentement", expliquait au New York Times un activiste transsexuel de Belgrade. Une centaine d'étrangers et de Serbes ont subi cette opération l'année passée et le nombre ne cesse de croître, avec des candidats venant de France, de Russie, d'Iran, et même de pays plus éloignés, comme les États-Unis, l'Afrique du Sud, Singapour et l'Australie.
"Deux parents"
Cela s'explique par le coût de la chirurgie de mutation génitale. Les patients étrangers sont tout d'abord attirés par la Serbie grâce aux prix souvent proposés, d'environ 10 000 dollars. Mais cette opération est aussi très controversée dans beaucoup d'autres pays. Ainsi, de nombreux chirurgiens à travers le monde se plaignent de ne pas obtenir la formation appropriée, ou d'être réprimandés et raillés par leurs collègues, et ce, même en Europe de l'Ouest, pourtant médicalement avancée. Marci Bowers, un gynécologue californien, qui a réalisé 1 100 opérations de mutation sexuelle ces dernières années, note qu'aux États-Unis seulement cinq chirurgiens font cette opération régulièrement. Ce docteur explique que le conservatisme social et le manque de compétences dans beaucoup de pays, combinés avec les craintes qu'ont les chirurgiens de possibles complications, ne peuvent qu'encourager la croissance du tourisme transsexuel dans des pays tels que la Serbie.
"Nous sommes les enfants de deux parents ; l'un est l'Église orthodoxe, l'autre est le communisme", note le docteur Dusan Stanojevic, un pionnier de la chirurgie de mutation sexuelle en Serbie. Il explique que la transsexualité était un tel tabou dans l'ancienne Yougoslavie que les opérations et les protocoles n'étaient pas mentionnés dans des manuels médicaux. À la chute du Mur, les choses ont changé, et le pays a commencé alors à séduire un régiment de patients, ainsi que des chirurgiens, attirés par le défi que présente cette procédure exceptionnellement difficile.
Gay Pride
Vingt ans plus tard, la chirurgie de réassignation du sexe est devenue une niche surprenante pour Belgrade, avec quatre centres médicaux spécialisés dans cette procédure. La Serbie, devenue candidat à l'adhésion de l'Union européenne en mars, organise une Gay Pride cette année. C'est très significatif, puisque l'an passé le gouvernement l'avait annulée, justifiant une telle décision en rappelant les violences qu'elle avait entraînées l'année précédente. Des protestataires avaient en effet jeté des bombes d'essence sur des policiers armés en chantant "La mort aux homosexuels."
Douze ans après la chute de Slobodan Milosevic, le changement des moeurs se reflète aussi peu à peu dans la culture populaire, même s'il demeure subtil. L'année dernière pourtant, le succès de la sombre comédie La parade en disait déjà long. Ce film racontait le voyage à travers l'ancienne Yougoslavie d'un vétérinaire homosexuel et de son ami homophobe, un ex-paramilitaire. Ces derniers tentaient tant bien que mal de recruter d'anciens combattants comme agents de sécurité pour la Gay Pride de Belgrade. Cette comédie joue adroitement des stéréotypes et cache un message sous-jacent de tolérance. Et il a été parmi les films qui ont réalisé le plus haut chiffre d'affaires dans l'histoire du pays.
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