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Etre quelqu'un sans être personne, être regardé sans être vu: c'est le rêve et le fantasme de certains Japonais et Japonaises qui, après le boulot, revêtent une combinaison lycra ou satin intégrale qui cache tout, y compris le visage. Mais surtout pas les formes.
Le jour, c'est une jeune employée de bureau bien ordinaire, bien rangée. Juste ce qu'il faut de maquillage discret et une coiffure très sage. Passe-partout. Mais quand la nuit enveloppe Tokyo, elle se glisse dans une combinaison ultra moulante d'où n'émergent pas même ses yeux. Et alors "Hokkyoku Nigo", littéralement "Pôle nord n°2", va s'asseoir dans des bars. Seule et libérée du regard des autres. Du moins le pense-t-elle.
Car ces combinaisons "zentaï", mot japonais compressé autant que les corps qu'elles recouvrent et qui signifie "collant pour le corps entier", cachent l'être mais pas les formes de l'être, bien au contraire. Ce plaisir étonnant, voire dérangeant, est peut-être aussi le reflet d'une société dans laquelle certaines personnes ne trouvent pas leur place, vivent un "mal de vivre", à en croire le professeur Ikuo Daibo, de l'Université Tokyo Mirai.
"Ici, au Japon, beaucoup de gens se sentent perdus, incapables de trouver leur rôle et leur place dans la société", explique-t-il à l'AFP pour tenter de décrire ce phénomène, mélange d'esthétisme et de fétichisme, né il y a une trentaine d'année et qui a son "pape": "Marcy Anarchy", un photographe dont on ne connait que le pseudonyme et dont personne n'a jamais vu le visage.
A la différence du "cosplay", autre mode japonaise extravagante et ludique qui consiste à revêtir des costumes et déguisements pour s'identifier à des héros de mangas (bandes dessinées), le "zentaï" empreinte une autre voie: effacer totalement son vrai moi, devenir neutre, pour "mieux" communiquer en abolissant les regards scrutateurs.
"Toute ma vie, j'ai toujours été préoccupée par ce que les autres pensent de moi. Il y en a qui disent que je suis mignonne, d'autres puérile, ou naïve", raconte "Pôle Nord n°2". Et tandis que cette jeune femme d'une vingtaine d'années explique sa double vie, le lycra violet scintillant qui moule sa tête remue au gré de sa respiration. "Je suffoque, mais en "zentaï" je suis une personne". Les adeptes de la fibre textile intégrale chercheraient une libération, par la sublimation du corps, dessiné, suggéré et suggestif, moulé par le tissu dans ses moindres détails.
Les fans de ce que certains associent à une simple perversion se retrouvent sur internet ou se réunissent dans des clubs, tel le Tokyo Zentai où tous les mois se réunissent une dizaine de pratiquants pour passer une soirée loin des conventions et codes vestimentaires.
"Nous portons des habits. Le jour, les hommes ont une sorte d'uniforme: costume-cravate. Une fois à la maison, ils se mettent à l'aise. Bref, nous changeons de vêtements en fonction de la situation. Les gens "zentaï" sont eux totalement libérés de tous les rôles sociaux. Il n'y a plus que la communication physique directe, et c'est comme ça qu'ils se sentent libres", avance le professeur Daibo.
Reste qu'enfiler un "zentaï" pour la première fois ne semble pas aisé, tant cette pratique est connotée sexuellement, notamment dans les milieux gays comme en attestent des sites internet qui vendent ce genre de tenues. Hanaka, une jeune femme de 22 ans, raconte ses premiers pas: "Quand j'étais petite, j'étais fascinée par les costumes de héros. A 13 ou 14 ans, j'ai essayé de me fabriquer ma propre combinaison en cousant des bas ensemble, mais j'ai tout arrêté, en me disant que j'étais en train de faire quelque chose de bizarre". Finalement, c'est Popo, son petit copain de 25 ans qui l'a entrainée au Tokyo Zentai Club. "Et puis, j'ai été vraiment heureuse de découvrir sur internet qu'il y avait des gens comme moi".
Univers caché et très limité, le "zentaï" fait tout de même parfois des incursions dans la culture populaire. La presse a récemment révélé qu'un "zentaï" venait souvent traîner devant une bouche de métro pour, tel un super-héros, aider les mamans à descendre la poussette d'enfant dans les escaliers. Ca, c'est la version "Bisounours". Pour d'autres, la "zentaï attitude" a bel et bien à voir avec le sexe.
"J'aime toucher, caresser les autres, être touchée et caressée", confie Nezumiko, une enseignante de 36 ans. Elle se défend d'être lesbienne, mais confie que... "le zentaï procure une sensation qui n'a rien à voir avec le sexe hétéro". Les amoureux du zentaï "essayent d'exposer leur moi le plus profond en cachant leur apparence réelle. C'est une forme de communication intéressante", juge le professeur Daibo. "Exposer son moi ?": Alice Omori, la quarantaine dont 20 de zentaï, gère un site internet de combinaisons intégrales, et il ne semble pas trop se poser la question. "Emballé" dans son costume, ce qu'il expose est plus prosaique.
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